Le vin des rues by Robert Giraud

Le vin des rues by Robert Giraud

Auteur:Robert Giraud
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Stock 2009, atelier Panik pour l'éd. numérique


Tard à Mouffetard

Avec Mérindol on marchait en pool, depuis le jour où, complètement à la côte, on s'était retrouvé à Paris. Aussi panosse que moi on faisait une belle paire qui sous le même maillot aurait pu glaner quelques succès aux Six Jours, sur la piste de Grenelle. Mais l'histoire n'est pas là, Pierre était mon compagnon, le meilleur dragueur de rades et de lampadaires qu'il soit permis de trouver. On traînait vraiment, dormant le jour du sommeil sans remords que doit avoir le travailleur de nuit.

— Faudrait quand même que ça change, disait Pierre quelquefois, tu te rends compte, moi, un ancien prof de philo, et toi…

— Pierre t'es rond, j'arrêtais sa postiche… On marchait sans rien dire, l'un près de l'autre, avec ce silence entre nous plus difficile à digérer que des paroles. Valait mieux parler, le contact à rétablir et se brancher sur autre chose. Pas du nougat tout ça, dans nos têtes de lard le « faudrait que ça change » tournait comme la bille d'un appareil à sous, heurtant des plots à droite à gauche, avant de rentrer sous la porte surmontée du gagné traditionnel.

Tu parles d'un gain… le retour en arrière puis la lente dégringolade à la réalité naziquée jusqu'à la moelle…

— Faudrait que ça change, on lâchait ensemble pour se libérer. Du porte-pipes les mots tombaient en même temps, ils arrivaient dead-heat après avoir suivi la même course.

Pierre sortait une cigarette.

— T'as pas sa frangine, je disais, ça allait beaucoup mieux.

On survivait grâce à un tas de petits trucs à nous qui ne regardaient personne ; des moments, c'était juste mais d'un soir à l'autre on arrivait à s'en tirer. A la ration quotidienne de pain et de vin nécessaires à se tenir sur les jambes on ajoutait le piment indispensable des gueuseries, noille après noille, poussant toutes les portes écrites à la lumière.

Mouffetard était notre maquis où toute activité braconnière avait son compte, la grotte d'Ali Baba, dernière trouvaille de spéléologues conquis depuis longtemps à la science du méandre, de la grimpette et du plat ventre.

Sans être aussi longue que la rue de Vaugirard ou de Rivoli, la Mouffe prend sa source à Maubert, tout près de la Seine, pour aller se laver les pieds vers les Gobelins sur l'emplacement de l'ancienne Bièvre. Quittant la Mocobo, elle entreprend l'escalade de la Montagne sous différents pseudos pour n'être baptisée qu'à partir de la Contrescarpe, avant de se lancer dans le toboggan de la descente. La montée s'effectue par paliers successifs et variés, le quartier veut ça.

Les sentes en lacets de chèvres existent vraiment, avec leurs points d'appui, de repos, creusés à même les flancs des maisons. Tous ont l'enseigne accueillante, et le même vin à douze francs le verre. La hantise de l'ombre disparaît au feu d'artifice rampant d'une porte à l'autre, chaque fusée nouvelle étant un bouquet de fleurs fraîchement coupées et renouvelées aux parterres de l'entrepôt Bercy, les livraisons se font chaque jour.

Quand il nous arrivait de pousser chacun une pointe indépendante, les rencarts étaient automatiques selon l'heure et surtout la nuit de la semaine.



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