L’espèce humaine by Robert Antelme

L’espèce humaine by Robert Antelme

Auteur:Robert Antelme
La langue: fr
Format: mobi, epub
Éditeur: Gallimard
Publié: 2011-12-20T18:00:27+00:00


Deuxième Partie. – LA ROUTE

4 avril. Le canon a tonné toute la nuit.

On distinguait nettement son bruit de celui des bombes ou de la DCA. Ils devaient être à une quarantaine de kilomètres. Depuis plusieurs jours, on parlait de l’évacuation.

J’avais peu dormi. Quand je me suis réveillé, on voyait le jour à travers les persiennes du block. L’heure de l’appel était passée, mais personne ne s’en étonnait. C’est bien le dernier ou l’avant-dernier jour que nous passerions à Gandersheim. La chambrée était silencieuse. Un type a poussé une persienne, et le jour est entré en plein. Il faisait du soleil. Le ciel était clair. A travers la fenêtre, la place d’appel apparaissait, vide et calme. C’était une très belle matinée de printemps, peut-être le matin le plus silencieux que nous ayons connu, le plus clair, et on entendait même chanter des oiseaux qui sortaient du bois.

On a d’abord entendu des pas dehors puis, brusquement, un vacarme dans l’entrée. Des types hurlants, fusil ou mitraillette à l’épaule, ont fait irruption dans la chambrée. On les a reconnus : c’étaient les kapos. Ils étaient là, Fritz, Ernst, le Werkkontroll[14] et d’autres, habillés en werkschutz. Avec eux, deux détenus allemands qui n’étaient pas kapos, ainsi que le Roumain, blanchisseur des SS. Les SS les avaient tous armés et vêtus d’uniformes.

La veille on avait demandé à ceux qui ne pouvaient pas marcher de donner leur nom. On leur avait dit qu’en cas d’évacuation, ils resteraient à Gandersheim. Quelques types s’étaient désignés. Les kapos venaient les chercher.

Personne n’a bougé. Les kapos se sont énervés. Ils ont gueulé plus fort et sont allés de lit en lit, frappant par terre de la crosse de leur fusil. Les deux détenus allemands qui étaient avec eux ne disaient rien. Fritz et Ernst faisaient de grands pas dans l’allée du block et foutaient des coups de crosse dans les montants des lits. Mais personne encore ne bougeait.

Alors ils sont allés chercher le stubendienst qui est arrivé avec une liste et ils ont menacé de faire sortir tout le monde. Le stubendienst a appelé les noms des types : Pelava, André, deux autres.

Pelava, le vieux de Toulouse, qui avait un fort œdème aux jambes, s’est soulevé sur sa paillasse. Il a commencé â enfiler péniblement ses chaussettes. Fritz est venu près de son lit et a foutu des coups de crosse dedans pour le presser. Ernst faisait la même chose avec le petit André. Ils continuaient à gueuler.

— Los, los !

Mais le vieux Pelava n’allait pas plus vite.

Les deux autres Allemands se tenaient près de la porte. Ils n’avaient pas encore l’habitude, ils ne criaient pas. Le Roumain, lui, gueulait. Il gueulait contre tous ceux qui étaient couchés, il gueulait comme un coq. Le stubendienst suivait l’opération sans rien dire.

Fritz, Ernst et les autres n’avaient plus la croix au minium dans le dos. Quand ils étaient arrivés de Buchenwald, ils portaient le rayé. Ensuite ils avaient eu droit au costume civil, d’abord avec une petite croix dans le dos et le triangle vert, puis sans croix ni triangle.



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