Dictionnaire amoureux de la France by Denis Tillinac

Dictionnaire amoureux de la France by Denis Tillinac

Auteur:Denis Tillinac [Tillinac, Denis]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782259211666
Éditeur: Plon
Publié: 2007-12-31T23:00:00+00:00


Mazarinades

Un vent de Fronde s’est levé ce matin

Je crois qu’il gronde contre le Mazarin

On chantait cette mazarinade dans les rues de Paris, pendant la Fronde, elle visait le cardinal italien qui s’était emparé du pouvoir sur le royaume de France en capturant le cœur, et peut-être le corps, de la régente Anne d’Autriche. On sait qu’il piochait dans les caisses, trichait au jeu, casait sa parentèle sans la moindre vergogne et tremblait comme une feuille au bruit d’une mousquetade. La Fronde embrasa le pays et accula Mazarin à l’exil. Puis elle se divisa, s’essouffla, se délita et le même Mazarin rentra à Paris sous les bravi populaires. Il a gouverné la France jusqu’à sa mort.

Peu importent les présupposés de cette Fronde pagailleuse et verbeuse, les incuries de ses acteurs, parlementaires puis princes : la mazarinade, qui en une nuit surgit des pavés de Paris comme un potiron sur un potager et régala le peuple, est une constante du tempérament français. Les « Guignols de l’info » et les chansonniers du théâtre des Deux-nes pérennisent une double pente à l’insoumission et à la dérision qui vise l’autorité établie, sous quelque défroque qu’elle s’affuble. Civile ou militaire, religieuse ou profane, tyrannique ou démocratique. La tradition du pamphlet – de Chateaubriand à Hallier en passant par Darien, Rochefort, Proudhon, Bloy, Sorel, Bernanos et cent autres – reflète une allergie au pouvoir qui tantôt paralyse nos politiques, tantôt les incite à la répression. Au fond, les Français n’ont jamais cru tout à fait à la légitimité d’un pouvoir politique, économique ou spirituel. Jamais, même aux époques où Dieu était censé cautionner le Prince. Monarchistes ou républicains, conservateurs ou progressistes, ils prennent toujours le parti de Guignol contre le gendarme, de Lupin contre Ganimard, de Thierry Le Luron ou de Coluche contre leurs cibles. Parce que le gendarme exige l’observance d’une loi illégitime par essence et injuste dans ses effets. Guignol les venge de tous les Mazarin qui les volent, les humilient et les matraquent. Rire des puissants et des sommités est une thérapie, les narguer un impératif moral catégorique. Moral et esthétique ; on y met de la coquetterie et, pour plaire aux duchesses dans le salon le plus gourmé, il faut dégainer sa mazarinade. Quitte à se laisser piéger, dans le même temps, sur l’autre versant du tempérament français : le goût du césarisme. Un chef bien viril, qui saura juguler l’arrogance des Grands, nos compatriotes en redemandent. Mais à peine l’ont-ils hissé sur un trône, ils mobilisent toutes les ressources de l’esprit pour le ridiculiser. Une ironie vipérine supplante l’humour bonasse et bidasse – et fusent de partout les mazarinades. À mots couverts quand Louis XI, Richelieu ou Bonaparte froncent les sourcils, mais ils n’y échappent pas. C’est notre fond d’anarchisme, il se réveille au moindre symptôme de suffisance de l’autorité. J’ai beau savoir qu’il faut des gouvernants, et des rituels pour symboliser leur éminence, une rage me prend dès qu’un cortège officiel m’oblige à piétiner à un carrefour. De quel droit ? me dis-je.



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