Histoires de terreur by collectif

Auteur:collectif
La langue: fra
Format: epub

3

Elle était toujours plongée dans ses réflexions quand la femme de chambre entra, surprise de la trouver dans la pièce. À ses questions, Charlotte répondit qu’elle n’avait pas l’intention de s’habiller et que Monsieur ne dînerait pas : se sentant fatigué, il était allé se reposer dans sa chambre. Un peu plus tard, elle-même se ferait apporter dans son boudoir un repas léger. Elle monta dans sa chambre. Sa robe du soir était étalée sur le lit et, en pensant à la paisible routine de sa vie quotidienne, il sembla à Charlotte que son étrange conversation avec son mari avait eu lieu dans un autre monde, entre deux personnages qui n’étaient ni Kenneth Ashby ni Charlotte Gorse, mais des spectres nés de son imagination fiévreuse. Elle se rappela l’attachement que Kenneth lui avait témoigné depuis leur mariage, sa tendresse constante, presque excessive même, l’impression qu’il lui avait parfois donnée de dépendre trop passionnément d’elle, comme s’il n’y avait pas eu suffisamment d’espace entre leurs deux âmes. Devant la dévotion dont il avait toujours fait preuve envers elle, il paraissait absurde qu’elle eût pu l’accuser, quelques instants plus tôt, d’avoir une intrigue avec une autre femme. Mais, pourtant…

De nouveau, elle eut envie de se rendre auprès de lui pour implorer son pardon et tenter de dissiper leur malentendu. Mais elle fut retenue par la crainte de violer son intimité. Il était inquiet et malheureux, opprimé par quelque chagrin ou quelque douleur secrète, et il lui avait bien laissé entendre qu’il souhaitait lutter seul. Charlotte sentait qu’il serait à la fois plus sage et plus généreux de respecter la volonté de son mari. Mais il lui semblait intolérable de rester là, dans la chambre voisine de celle de Kenneth, comme si elle s’était trouvée à l’autre bout du monde. Dans son trouble, elle regrettait presque de n’avoir pas eu le courage d’ouvrir la lettre et de la remettre sur la table avant l’arrivée de Kenneth : du moins, elle aurait appris ainsi quel était son secret et réussi peut-être à dissiper le mauvais charme. Car elle se prenait à penser au secret de son mari comme à quelque chose de sciemment malveillant, à une sorte de tyrannie qu’il détestait et dont, cependant, il ne pouvait se libérer. Une ou deux fois, dans son regard qui évitait celui de Charlotte, la jeune femme avait cru surprendre un appel au secours, un désir d’avouer aussitôt réprimé. On eût dit que Kenneth sentait qu’elle aurait pu l’aider si elle avait connu son secret, mais qu’il était incapable de lui en faire l’aveu.

L’idée vint brusquement à Charlotte d’aller voir la mère de Kenneth. Elle aimait beaucoup Mrs Ashby, vieille dame encore vive et alerte, dont les yeux clairs révélaient une nature simple et franche qui correspondait bien à la sienne. Une entente tacite s’était établie entre les deux femmes depuis le jour où Mrs Ashby mère, venant déjeuner pour la première fois chez sa nouvelle belle-fille et reçue par celle-ci dans la bibliothèque, avait levé les

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