La prochaine fois, le feu by James Baldwin

Auteur:James Baldwin [Baldwin, James]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782070400508
Éditeur: Gallimard
Publié: 1996-06-04T22:00:00+00:00

Je suis sûre que ma soutane va très bien m’aller,

C’est aux portes de l’enfer que je l’ai essayée.

Il était temps de prendre congé et, debout dans le grand salon, nous nous disions bonsoir, étrangement oppressés par notre incapacité à nous entendre. Je ne pouvais pas m’empêcher de penser qu’à leurs yeux comme aux miens j’avais subi un échec ou que je n’avais pas su entendre un avertissement. Elijah me serra la main et me demanda où j’allais. Où que ce fût, on m’y conduirait « parce que lorsque nous invitons quelqu’un ici, me dit-il, nous estimons que c’est notre devoir de le protéger des démons blancs jusqu’à ce qu’il soit arrivé là où il va ». Il se trouvait que j’allais boire un verre avec plusieurs démons blancs, à l’autre bout de la ville. Je dois avouer que pendant une fraction de seconde j’hésitai à donner l’adresse — une adresse qui, à Chicago comme dans toutes les villes américaines, ne pouvait être qu’une adresse blanche étant donné son quartier. Mais je la donnai et Elijah m’accompagna jusqu’au perron et un des jeunes gens disparut à la recherche de la voiture. J’éprouvais un sentiment très étrange à me trouver à côté d’Elijah pendant ces quelques instants avec, en face de nous, ce quartier si vivant, si brutal, si complexe. Je me sentais très proche de lui et souhaitais sincèrement pouvoir l’aimer et l’honorer comme un témoin, un allié et un père. Il me semblait que je pouvais comprendre sa souffrance, sa rage et même, oui, sa beauté. Et pourtant, précisément à cause de la présence et de la nature de ce quartier, à cause de ce qu’il considérait comme son devoir et ce qui m’apparaissait être le mien, nous serions toujours des étrangers et peut-être un jour des ennemis. La voiture arriva, d’un bleu scintillant, métallique, violemment américain, et de nouveau Elijah me serra la main et me souhaita bonne nuit. Il rentra dans sa grande maison et referma la porte.

Le conducteur et moi-même commençâmes notre randonnée à travers l’obscurité murmurante de Chicago, étrangement belle à cette heure. Nous longions le lac. Nous en revînmes à la discussion sur les territoires. Comment nous Noirs pourrions-nous obtenir ces territoires ? Je posai cette question au garçon soucieux qui, plus tôt à table, avait dit que le caractère démoniaque des Blancs était bien révélé par leurs actions. Il fit d’abord mention des temples musulmans maintenant en construction dans différentes régions des États-Unis, du succès du mouvement auprès des masses, de l’argent dont chaque année disposent les Noirs — quelque chose de l’ordre de vingt milliards de dollars. « Rien que ceci suffit à montrer notre force », dit-il. Mais, insistai-je, prudemment et dans des termes un peu différents, ces vingt milliards de dollars, puisque vingt milliards de dollars il y a, font partie intégrante de l’économie totale des États-Unis. Et qu’arrivera-t-il quand les Noirs se seront détachés de cette économie ? Même si on ne tient pas compte du fait qu’avant qu’on en

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