Le propre et le sale by Le propre et le sale

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Auteur:Le propre et le sale [le sale, Le propre et]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2015-08-04T16:53:44+00:00


Les duplicités du parfum

Avec le parfum change un repère dominant dont le sens est le plus révélateur. Simple effet de surface, le parfum ne peut maintenant que tromper : « Les odeurs appartiennent moins à la propreté qu’à un certain goût dépravé ou à un certain air de mode dont les petits maîtres sont les arbitres(494). » Les critiques se multiplient contre « l’odeur des essences et des poudres ambrées(495) », le « danger » des aromates(496), les troubles et les « vapeurs » provoquées par le musc(497) : autant d’objets qui énervent et affaiblissent ; autant de pratiques qui contrarient la nature. Jusqu’à l’innocent effeuillage de roses, qui « peut faire tomber en défaillance(498) ». Bomare, dans son Dictionnaire d’histoire naturelle, en 1764, semble ravi d’offrir les preuves de telles affectations, en comparant l’odorat borné de l’homme à celui des animaux. L’infirmité n’a qu’une source : « l’excès d’odeurs fortes dont les hommes sont sans cesse entourés(499) ». Ce que Buffon affirmait déjà, non sans crispation, évoquant cette « fureur avec laquelle nous cherchons à nous détruire(500) » en sollicitant trop violemment l’odorat. Le parfum entêtant n’est qu’effémination. À quoi s’ajoute le soupçon sur la propreté que celui-ci peut déclencher : exactement comme la « beauté fausse » produit « un effet plus rebutant que la laideur la plus prononcée(501) ».

L’artifice du parfum semble d’ailleurs aux antipodes de l’esprit bourgeois, bientôt triomphant. Il s’évanouit, il s’évapore, symbolisant la dilapidation et la perte. Non seulement c’est un produit de surface, mais c’est un produit évanescent. Il se gaspille. Il est dissipation, volatilité fugace et sans retour. L’inverse du cumul et de la thésaurisation. Le parfum se diffuse et s’évade. Cette instabilité, maintenant, déçoit. Critique remarquablement notée par Corbin : « Il y a quelque chose d’intolérable pour le bourgeois à sentir s’évanouir ainsi les produits thésaurisés de son labeur. Le parfum, que l’on accuse de traduire la mollesse, le désordre et le goût du plaisir, est antinomique du travail(502). » Il redouble alors les effets « négatifs » des valeurs d’apparence.

Une telle disqualification ne peut qu’atteindre certains gestes jugés jusqu’ici purificateurs. Le parfum pouvait auparavant corriger les odeurs du corps en modifiant leur matière intime. Il combattait directement la puanteur parce qu’il l’« attaquait » dans sa substance. En un certain sens même, il lavait. Sa seule application nettoyait et purifiait. Il transformait très « concrètement » la source du mauvais air. Or, il « perd précisément tout crédit(503) » dans l’action contre les atmosphères malsaines et les effluves malodorants. C’est un autre pan des toilettes, et même des pratiques hygiéniques, qui s’efface ici. L’effet du parfum n’est plus celui de l’épuration. Il n’agit pas sur l’essence même de l’air. Et surtout, il ne peut atteindre la source de la fétidité : « Il ne fait que substituer une odeur agréable à une odeur fétide, il trompe seulement l’odorat et ne dénature pas les miasmes putrides(504). » Tout au plus joue-t-il le rôle de masque. La meilleure riposte demeure encore la suppression des sources malodorantes ou le renouvellement de l’air ambiant.



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