Romans (La Panne - Le Juge et son Bourreau - Le Soupçon - La Promesse) by Friedrich Dürrenmatt

Romans (La Panne - Le Juge et son Bourreau - Le Soupçon - La Promesse) by Friedrich Dürrenmatt

Auteur:Friedrich Dürrenmatt
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Albin Michel & Atelier Panik éd. numérique
Publié: 2012-09-19T00:00:00+00:00


ENCORE UNE VISITE

Il passa son après-midi d’abord à écrire péniblement toute une page pleine, ensuite à téléphoner à la Banque cantonale, puis à un notaire, ce terrible malade qui finissait par intimider les infirmières tant il restait impénétrable dans sa détermination farouche. Et tandis qu’il tirait lucidement ses fils, tendant méthodiquement sa toile telle une araignée géante, passant imperturbablement d’une déduction à la suivante, d’une décision aux actes, l’après-midi toucha à sa fin. Hungertobel, entre-temps, était venu lui annoncer que la clinique Sonnenstein le recevrait le jour de la Saint-Sylvestre. Il n’était pas reparti depuis longtemps, quand une autre visite fut annoncée au commissaire ; mais on ne savait pas si cette personne se présentait d’elle-même ou si elle était attendue.

Le personnage était un petit maigre, à long col, qui portait grand ouvert un vieux manteau de pluie, les poches bourrées de journaux ; d’autres journaux encore remplissaient à craquer les poches du costume râpé que laissait entrevoir le manteau bâillant : un costume gris à rayures brunes, frangé de partout. Un vague foulard de soie jaune citron, tout crasseux, était noué sur le long cou maigre et sale. La tête chauve était coiffée d’un béret basque, qui devait être collé. Sous les sourcils broussailleux, l’œil était brillant ; mais son énorme nez crochu paraissait bien trop grand pour le petit homme, et la bouche s’enfonçait pitoyablement là-dessous, car elle était édentée. Il parlait tout seul, récitant interminablement des vers, eût-on dit, avec des mots reconnaissables ici et là, comme des récifs sur cet océan verbal : trolleybus, circulation, police, – toujours les mêmes, en tout cas, et qui avaient le don de provoquer chez lui une fureur immense. La canne qu’il agitait en moulinets désordonnés était d’un luxe qui tranchait avec la touche misérable de l’individu : elle était noire avec une poignée d’argent, d’une élégance indiscutable et surannée, qui semblait dater d’un tout autre siècle.

Il n’avait pas encore franchi le hall de l’entrée principale, que déjà il s’était bousculé avec une infirmière, s’inclinant pour s’excuser avec un flot de paroles disproportionnées, après quoi il était désespérément allé se perdre du côté de la maternité, se précipitant, ou presque, dans la salle de délivrance où l’on était en plein accouchement, et en avait été sorti par un médecin ; il avait alors trébuché, dans le couloir, contre un vase d’œillets, alors que les vases de fleurs, dans cette section de l’hôpital, s’accumulent presque devant chaque porte. Finalement on l’avait reconduit jusque dans l’aile nouvelle du bâtiment (il avait fallu l’attraper comme un animal effarouché) et là, avant qu’il fût arrivé devant la chambre du commissaire, il avait encore réussi à se flanquer sa canne entre les jambes, l’avait lâchée, la laissant filer le long du couloir, où elle était allée frapper violemment contre la porte d’un grand malade.

— Ces flics de la circulation ! explosait le visiteur à peine installé au chevet de Baerlach (au grand soulagement de l’infirmière qui avait eu mission de l’amener jusque-là) on ne voit plus que cela : il y en a partout.



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