... Ou tu porteras mon deuil by Dominique Lapierre & Larry Collins

... Ou tu porteras mon deuil by Dominique Lapierre & Larry Collins

Auteur:Dominique Lapierre & Larry Collins [Lapierre, Dominique & Collins, Larry]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Biographie
ISBN: 2221005279
Éditeur: Robert Laffont
Publié: 1975-12-31T23:00:00+00:00


Amers furent les fruits de ces aventures. Dans les ruelles gitanes de Triana et les marais fétides de Huelva, sur les quais de Cádiz qui avaient jadis vu partir vers l’or des Incas et les temples de Moctezuma d’autres jeunes Espagnols épris de gloire, devant les palais arabes de Grenade, dans les étendues désolées d’Estrémadure et les jardins de Jaén, Manuel Benitez et Juan Horillo poursuivaient leur mirage. Perdus dans l’immensité andalouse, ils appartenaient à cette cohorte de gosses affamés qui, comme le Currito de la Cruz du film, avaient choisi la voie directe vers le rêve. Mais cette voie, pour presque tous, débouchait sur le malheur et le désespoir. Appelés maletillas, du nom du pauvre balluchon enveloppé de leur muleta qu’ils portaient sur le dos, ils étaient dans ce pays de flamencos et de castagnettes crépitantes, de corridas et de mantilles en dentelle, de patios carrelés aux fontaines jaillissantes, l’envers douloureux d’un monde enchanteur et enchanté. Leurs visages émaciés, leurs yeux brûlants, leurs guenilles, leur mépris de la mort, traduisaient un symbole éternel de l’Espagne, sa pauvreté.

En pleine moitié du XXe siècle, alors que ses voisins immédiats marchaient vers une prospérité sans précédent, l’Espagne restait endormie dans la poussière des siècles. À l’heure même où la Garde Civile d’une petite ville andalouse partait en guerre contre deux voyous assoiffés d’une vie meilleure, l’Espagne ne fabriquait pas une seule automobile de série. La télévision y était inconnue. Trois habitations sur quatre ne possédaient pas d’installations sanitaires et moins d’une sur cinq disposait d’eau courante. Plus d’une décennie après la fin de la guerre civile, la production agricole elle-même n’avait pas retrouvé son niveau de 1936. Mais il y avait plus grave. La faim et le désespoir qui poussaient vers le salut des arènes des gosses comme Manuel Benitez allaient en ces années 1950 provoquer un autre exode. Privés du droit de vivre dans un pays où les deux tiers du revenu agricole tombaient dans les mains de deux pour cent des habitants, près d’un demi-million d’Andalous allaient s’enfuir.

La route qu’ils choisissaient, Manuel Benitez et tous les maletillas d’Espagne pouvaient eux aussi la prendre. Certes, son aboutissement était plus humble, mais ce qu’elle promettait était infiniment plus réel. Si tristes que fussent les horizons vers lesquels elle menait, la perspective d’une relative abondance, après des années de famine et des siècles de sous-alimentation, était pour ces milliers d’hommes un aimant plus attirant que le soleil et le sol natal. Madrid, Barcelone, Bilbao, et au-delà, les mines, les hauts fourneaux, les usines de toute l’Europe virent bientôt arriver ces naufragés de la pauvreté andalouse. Pourquoi l’orphelin de la calle Belen n’était-il pas de ceux-là, lui que la faim et la misère avaient si durement frappé ? L’ardeur de son sang donnait la réponse. Sans un Manuel Benitez, sans la poignée de jeunes fous que la fiesta brava frappe chaque année de son virus, l’Espagne ne serait pas tout à fait l’Espagne. Au-delà de la faim qui leur tenaillait le ventre, ces desesperados brûlaient d’une autre ambition qu’aucun salaire d’usine ou de chantier n’apaiserait jamais.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.