Les confessions. Les rêveries du promeneur solitaire. by Rousseau Jean-Jacques

Les confessions. Les rêveries du promeneur solitaire. by Rousseau Jean-Jacques

Auteur:Rousseau, Jean-Jacques [Rousseau, Jean-Jacques]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Française, 18ème Sc., Classique
Éditeur: http://www.rousseauonline.ch/tdm.php
Publié: 2012-07-09T17:42:11+00:00


Fin du cinquieme Livre.

JEAN JACQUES ROUSSEAU

LES CONFESSIONS

DE

J. J. ROUSSEAU.

[299]

LIVRE SIXIEME

Hoc erat in votis: modus agri non it à magnus,

Hortus ubi, & tecto vicinus jugis aquae fons;

Et paululium sylvae super his foret.

Je ne puis pas ajouter: auctiùs atque Dî meliùs fecere; mais n’importe, il ne m’en falloit pas davantage; il ne m’en falloit pas même la propriété: c’étoit assez pour moi de la jouissance, & il y a long-tems que j’ai dit & senti que le propriétaire & le possesseur sont souvent deux personnes très différentes; même en laissant à part les maris & les amans.

Ici commence le court bonheur de ma vie; ici viennent les paisibles, mais rapides momens qui m’ont donné le droit de dire que j’ai vécu. Momens précieux & si regrettés! Ah! recommencez pour moi votre aimable cours; coulez plus lentement dans mon souvenir s’il est possible, que vous ne fîtes réellement dans votre fugitive succession. Comment ferai-je pour prolonger à mon gré ce récit si touchant & si simple; [300] pour redire toujours les mêmes choses & n’ennuyer pas plus mes lecteurs en les répétant que je ne m’ennuyois moi-même en les recommençant sans cesse? Encore si tout cela consistoit en faits, en actions, en paroles, je pourrois le décrire & le rendre en quelque façon: mais comment dire ce qui n’étoit ni dit ni fait, ni pensé même, mais goûté, mais senti, sans que je puisse énoncer d’autre objet de mon bonheur que ce sentiment même. Je me levois avec le soleil & j’étois heureux, je me promenois & j’étois heureux, je voyois Maman & j’étois heureux, je la quittois & j’étois heureux, je parcourois les bois, les coteaux, j’errois dans les vallons, je lisois, j’étois oisif, je travaillois au jardin, je cueillois les fruits, j’aidois au ménage & le bonheur me suivoit par-tout; il n’étoit dans aucune chose assignable, il étoit tout en moi-même, il ne pouvoit me quitter un seul instant.

Rien de tout ce qui m’est arrivé durant cette époque chérie, rien de ce que j’ai fait, dit & pensé tout le tems qu’elle a duré n’est échappé de ma mémoire. Les tems qui précedent & qui suivent me reviennent par intervalles. Je me les rappelle inégalement & confusément; mais je me rappelle celui-là tout entier comme s’il duroit encore. Mon imagination, qui dans ma jeunesse alloit toujours en avant & maintenant rétrograde, compense par ces doux souvenirs l’espoir que j’ai pour jamais perdu. Je ne vois plus rien dans l’avenir qui me tente; les seuls retours du passé peuvent me flatter & ces retours si vifs & si vrais dans l’époque dont je parle, me font souvent vivre heureux malgré mes malheurs.

Je donnerai de ces souvenirs un seul exemple qui pourra [301] faire juger de leur force & de leur vérité. Le premier jour que nous allâmes coucher aux Charmettes, Maman étoit en chaise à porteurs & je la suivois à pied. Le chemin monte, elle étoit assez pesante & craignant de trop fatiguer ses porteurs, elle voulut descendre à-peu-près à moitié chemin pour faire le reste à pied.



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