Les Années by Virginia Woolf

Les Années by Virginia Woolf

Auteur:Virginia Woolf [Woolf, Virginia]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Romans
Éditeur: Ebooks libres et gratuits
Publié: 2015-02-03T18:42:11+00:00


1914

Le printemps était brillant, la journée radieuse. L’atmosphère même semblait bourdonner au contact de la cime des arbres ; l’air vibrait, clapotait. Les feuilles étaient nettes et vertes. Dans la campagne, les horloges des vieilles églises donnaient l’heure d’une voix grinçante ; le son rouillé passait sur les champs de trèfle rouge et les corbeaux s’envolaient, comme chassés par les cloches. Ils tournoyaient, puis se posaient tout en haut des arbres. Londres était fastueux et bruyant. La saison débutait ; les klaxons résonnaient ; les voitures rugissaient ; les drapeaux flottaient, raides comme des truites dans un ruisseau. Et tous les clochers de toutes les églises de la ville : saints distingués de Mayfair, saints archaïques de Kensington et saints vénérables de la Cité, carillonnaient l’heure. Au-dessus de Londres, l’air semblait un océan houleux rempli de sons, à travers lequel voyageaient des ondes concentriques. Mais les horloges ne concordaient pas, comme si les saints eux-mêmes étaient en désaccord. Des arrêts survenaient, des silences, puis les sonneries reprenaient.

Ici, dans Ebury Street, une lointaine horloge, à la voix frêle, donnait l’heure. Il était onze heures. Martin, debout à sa fenêtre, considérait la rue étroite, en bas. Le soleil brillait, Martin se sentait de belle humeur ; il allait consulter son agent de change à la Cité. Ses affaires tournaient bien. Son père, à un moment donné, avait gagné beaucoup d’argent ; il l’avait perdu ensuite, puis regagné en partie. Mais tout compte fait, il s’en était très bien tiré.

Martin s’attarda un peu pour admirer une dame à la mode, coiffée d’un ravissant chapeau et qui examinait un vase dans le magasin de bric-à-brac en face. C’était un vase bleu, posé sur un socle chinois, devant une draperie de brocart vert. La courbe des flancs symétriques, le bleu profond, les minces craquelures du vernis, lui plaisaient. Et la dame qui regardait ce vase était charmante, elle aussi.

Il prit son chapeau et sa canne et descendit dans la rue. Il ferait une partie du chemin à pied. Il fredonna en remontant Sloane Street : « La fille du roi d’Espagne m’a rendu visite, pour l’amour de… » Il jeta un coup d’œil sur les devantures, en passant. Elles étaient remplies de robes d’été, assemblages exquis de tissus verts et de gaze ; et des vols de chapeaux étaient posés sur de minces tiges de bois. Martin continua à fredonner : « Pour l’amour de mon beau muscadier d’argent. » Qu’est-ce que c’est qu’un muscadier d’argent ? se demanda-t-il. Un orgue de Barbarie, au bas de la rue, jouait gaiement sa petite danse flûtée. Et l’orgue tournait en rond, poussé de-ci de-là, comme si le vieillard qui en jouait esquissait une danse au son de la musique.

Une jolie femme de chambre monta les marches du sous-sol et lui donna un penny. Le visage du vieux bonhomme, un visage mobile d’Italien, se couvrit de rides lorsqu’il retira sa casquette pour saluer. La jeune fille sourit et se glissa de nouveau dans la cuisine.

« … Pour l’amour



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