La Rencontre de Lubeck by Gilles Cantagrel

La Rencontre de Lubeck by Gilles Cantagrel

Auteur:Gilles Cantagrel [Gilles Cantagrel]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Artège
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


Une bibliothèque musicale.

Giuseppe Maria Crespi, 1715, détail.

– Toucher les auditeurs, cela veut dire aussi les impressionner suffisamment pour entraîner leur adhésion, vous le dites vous-même, captiver leur attention avant de les mettre en émoi…

– Certes, mais cela ne doit rester qu’un moyen pour parvenir à notre but : tenir en musique un discours qui parle de Dieu et du monde. Quand dans un prélude en ut mineur ou en sol mineur, par exemple, vous entendez des segments de motifs en septièmes diminuées s’opposer vigoureusement à d’autres en accords parfaits, l’effet est dramatique, certes, mais il faut aller plus loin pour en découvrir la signification. Ici, il ne s’agit pas d’un épisode de scène d’opéra, c’est l’opposition entre la tension et la détente, entre la douleur et la paix, c’est-à-dire entre la dissonance du monde d’ici-bas et l’harmonie divine qui doit inéluctablement la résoudre. La signification que l’on prête à une musique peut se trouver dans les paroles chantées ou dans celles que porte une mélodie de choral, quand bien même elles ne sont pas exprimées par la voix, mais il faut la chercher d’abord dans la musique même, et avant tout dans l’organisation interne du discours.

Buxtehude s’enflamme, ce matin, comme si une pensée longtemps contenue trouvait enfin à se cristalliser.

– Vous l’avez remarqué, je n’arrête pas de parler de discours musical. Mais franchement, je ne pense pas que ce soit là un radotage de vieil homme. Au cours de ma longue vie, j’ai acquis la conviction intime que l’organiste de nos églises est un clerc, un pasteur au même titre que le prédicateur. Il a lui aussi à commenter la Parole, avec ses propres moyens, qui valent bien ceux des mots. Vous êtes-vous d’ailleurs jamais demandé pourquoi les orgues sont situés en hauteur, sur un jubé ou une tribune ? Tradition historique, certes, et volonté acoustique, sans doute. Mais à supposer que l’on veuille s’en tenir à cette seule explication, il ne faut pas manquer d’y voir le signe fort, essentiel, qui définit la pratique de notre vocation et la raison de notre tâche quotidienne. À son banc d’orgue, l’organiste est placé dans l’église entre ciel et terre, entre Dieu et les hommes, en situation de médiateur, comme le prédicateur en sa chaire. Du haut de sa tribune, il soutient et soulève le chant de l’assemblée, il vient en quelque sorte récolter la moisson de la prière des hommes pour la porter en offrande vers le ciel, au pied du trône de Dieu. Il est ainsi un fils d’Abraham, mais il l’est aussi de Moïse. Car de là où il est, il peut aussi, et c’est sans doute plus important encore, recueillir la divine Parole et la transmettre aux hommes. Il en porte le feu, et doit aussi la commenter. Par la musique, il parle de Dieu aux hommes. La musique de l’organiste, comme du reste toute musique dans l’église, doit être une louange et un enseignement, une prédication et une illumination. C’est d’abord à Dieu que nous nous adressons, et non aux hommes : non hominibus, sed Deo, j’en ai fait ma devise.



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