La Purge by Arthur NESNIDAL

La Purge by Arthur NESNIDAL

Auteur:Arthur NESNIDAL [Arthur, Nesnidal]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Julliard
Publié: 2018-08-15T00:00:00+00:00


Le philosophe pense que penser est bien. Il passe donc sa journée, solitaire, sur un trône sanitaire salutaire, ou marchant dans les rues pour penser une nouvelle façon de penser. Il lit les pensées d’autres philosophes et s’extasie devant la grâce neuronale du dernier auteur à la mode. Il conceptualise la conception, dit l’indicible, théorise la sensation, intuitionne l’esprit, sermonne les moralistes, se moque du cynisme, analyse la synthèse, dissèque l’unité, commente les commentaires, bref : il est dubitatif, c’est ce qui est certain.

Mais prenons garde. Le philosophe n’est pas à la portée du premier venu. Il ne pense pas comme tout le monde, il ne parle pas comme tout le monde. Ainsi, s’extirpant par le truchement d’un processus intellectuel dissertatif de la méprisable doxa, le philosophe authentique s’élève jusqu’à ce que son rapport à la masse ignorante ne soit plus rigoureusement rapport de mêmeté ontologique, ni épistémologique, en sorte d’effleurer sans jamais toutefois pleinement atteindre la VÉRITÉ.

Au pays de l’orgasme impossible, les branleurs sont rois.

Le cours de philosophie, justement, était assuré par l’une de ces créatures étranges. Notre professeur habitait un costume deux-pièces coupé à l’ancienne et rapiécé aux manches d’où jaillissaient des mains jaunies et parcheminées. Couvrant l’extrémité de ce qui pouvait être des tiges déshydratées ou des restes de doigts, des ongles mal ordonnés poussaient sans but commun ; ils donnaient l’impression de mauvais accessoires de théâtre, en carton ; étrangement réalistes, dans leur éparpillement, mais si inconcevables qu’ils choquaient l’entendement. Où voulaient-ils aller dans cet emportement ? Pourquoi donc traçaient-ils ces chemins tortueux ? Était-ce pour fournir de meilleurs outillages à arracher les yeux ? ou pour faire sur nous autres une sensation de crainte ? Monsieur le Professeur ne s’en expliquait pas. Bien sûr il les rongeait ; ceci compense cela ; alors on pardonnait. En remontant le bras, on rencontrait un coude excessivement pointu dont le démembrement était ahurissant ; aussi son corps cassant se tordait-il parfois de façon inhumaine, surnaturelle même, et nous étudiions, les yeux ronds mais le sourire aux lèvres, le comportement spécifique d’un macchabée professoral. Lui pérorait toujours comme si de rien n’était.

Il faut dire que le fait qu’il se tînt devant nous était chose admirable ; et nul ne l’ignorait. S’il s’était aperçu dans une glace qui sait, peut-être aurait-il su qu’il était trépassé ? Cela était exclu, les miroirs l’ignoraient ; il y aurait créé une déformation des lois de propagation des ondes de la lumière que ces objets avaient l’habileté d’éviter. Mort dans l’âme, âme au diable, diable au corps, on le savait évadé de sa crypte. Il venait au lycée sur une bicyclette, qui aurait aussi bien été une draisienne ; chancelant chaque mètre, ne pédalant jamais, il allait plus lentement que s’il eût dû marcher, se tenant d’une main au guidon inutile comme pour s’excuser de regarder en l’air ; son autre bras tenait, par une contorsion dont lui seul possédait les secrets de production, une serviette de cuir dans laquelle il rangeait une paire de pantoufles, il faut le supposer, car c’était la seule chose dont il connût l’emploi.



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