Journaux de voyage by Camus Albert

Journaux de voyage by Camus Albert

Auteur:Camus, Albert [Camus, Albert]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Française
Éditeur: Blondie - La Gang
Publié: 2013-07-19T22:00:00+00:00


Une macumba, au Brésil 8

Quand j’arrive chez Mme M., l’inquiétude règne. Le père des saints (prêtre et premier danseur) qui devait organiser la macumba a consulté le saint du jour qui n’a pas donné son autorisation. Abdias, l’acteur noir, pense surtout qu’il n’a pas promis assez d’argent pour forcer la bonne volonté du saint. Il est d’avis que nous tentions pourtant une expédition à Caxias, village faubourien, à 40 km de Rio et que nous cherchions au hasard une macumba. Pendant le dîner je me fais expliquer les macumbas. Ce sont des cérémonies dont le propos paraît constant : obtenir la descente du dieu en soi par le moyen de danses et de chants. Le but, c’est la transe. Ce qui distingue la macumba des autres cérémonies, c’est le mélange de la religion catholique et des rites africains. En fait de dieux ou de saints, il y a Echou, esprit du mal et dieu africain, mais aussi Ogoun qui est notre saint Georges. Il y a aussi saints Cosme et Damien, etc., etc. Le culte des saints est intégré ici dans des rites de possession. Chaque jour a son saint que l’on ne fête pas un autre jour, sauf autorisation spéciale du principal « père des saints ». Le père des saints a ses filles (et ses fils, je suppose) dont il est chargé de vérifier la transe.

Munis de ces renseignements élémentaires, nous partons. 40 km dans une sorte de brume. Il est 10 heures du soir. Caxias, qui me fait penser à un village-exposition fait de stands. Nous nous arrêtons sur la place du village où se trouvent déjà une vingtaine de voitures et beaucoup plus de monde que nous ne pensions. À peine arrêtés, un jeune mulâtre se précipite au-devant de moi et m’offre une bouteille d’aguardiente en me demandant si j’ai amené Tarrou avec moi. Il rit aux éclats, plaisante, me présente des camarades. Il est poète. On m’apprend enfin qu’on a su à Rio qu’on allait me montrer une macumba (on m’avait pourtant recommandé le secret que j’avais innocemment gardé) et beaucoup de gens ont voulu en profiter. Abdias s’enquiert, puis ne bouge plus. Nous restons là, palabrons au milieu de la place. Plus personne apparemment ne s’occupe de rien, et chacun rêve aux étoiles. Tout d’un coup : précipitation générale. Abdias me dit qu’il faut aller dans la montagne. Nous embarquons, roulons pendant quelques kilomètres sur une route défoncée et sans raison apparente nous arrêtons soudain. Attente sans que personne semble s’occuper de rien. Puis nous démarrons. La voiture soudain vire à quarante-cinq degrés et s’engage sur un sentier de montagne. Elle grimpe, peine, puis s’arrête : le raidillon est trop abrupt. Nous descendons et marchons. La colline est rase, la végétation rare, mais nous sommes en plein ciel, parmi les étoiles, semble-t-il. L’air sent la fumée. Il est si lourd qu’on a l’impression de le toucher du front. Arrivés au sommet de la colline, nous entendons des tambours et des chants assez lointains, mais qui cessent presque aussitôt.



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