Jean-Christophe VII by Rolland Romain

Jean-Christophe VII by Rolland Romain

Auteur:Rolland, Romain [Rolland, Romain]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Française
Éditeur: BEQ
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


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Malgré leur mutuel amour et l’intuition qu’il leur donnait de l’âme de l’ami, il y avait en eux des choses que Christophe et Olivier n’arrivaient pas à bien comprendre, et qui même les choquaient. Dans les premiers temps de l’amitié, où chacun fait effort pour ne laisser subsister de lui que ce qui ressemble à son ami, ils ne s’en aperçurent pas. Mais peu à peu l’image des deux races revint flotter à la surface. Ils eurent de petits froissements, que leur tendresse ne réussissait pas toujours à éviter.

Ils s’égaraient dans des malentendus. L’esprit d’Olivier était un mélange de foi, de liberté, de passion, d’ironie, de doute universel, dont Christophe ne parvenait pas à saisir la formule. Olivier, de son côté, était choqué du manque de psychologie de Christophe ; son aristocratie de vieille race intellectuelle souriait de la maladresse de cet esprit vigoureux, mais lourd et tout d’une pièce, qui ne savait pas s’analyser, et qui était la dupe des autres et de soi. La sentimentalité de Christophe, ses effusions bruyantes, sa facilité d’émotion, semblaient à Olivier quelquefois agaçantes et même légèrement ridicules. Sans parler d’un certain culte de la force, de cette conviction allemande en l’excellence morale du poing, Faustrecht, dont Olivier et son peuple avaient de bonnes raisons pour n’être pas persuadés.

Et Christophe ne pouvait souffrir l’ironie d’Olivier, qui l’irritait souvent jusqu’à la fureur ; il ne pouvait souffrir sa manie de raisonner, son analyse perpétuelle, je ne sais quelle immoralité intellectuelle, surprenante chez un homme aussi épris qu’Olivier de la pureté morale, et qui avait sa source dans la largeur de son intelligence : car elle répugnait à toute négation, et se plaisait au spectacle des pensées opposées. Olivier regardait les choses, d’un point de vue en quelque sorte historique, panoramique ; il avait un tel besoin de tout comprendre qu’il voyait à la fois le pour et le contre ; et il les soutenait tour à tour, suivant qu’on soutenait devant lui la thèse opposée ; il finissait par se perdre lui-même dans ses contradictions. À plus forte raison, déroutait-il Christophe. Cependant, ce n’était chez lui ni désir de contredire, ni penchant au paradoxe ; c’était une nécessité impérieuse de justice et de bon sens : il était froissé par la sottise de tout parti pris ; et il lui fallait réagir. La façon crue dont Christophe jugeait les actes et les hommes immoraux, en grossissant la réalité, choquait Olivier, qui, bien qu’aussi pur, n’était pas du même acier inflexible, mais se laissait tenter, teinter, toucher par les influences extérieures. Il protestait contre les exagérations de Christophe, et il exagérait en sens inverse. Journellement, ce travers d’esprit le conduisait à soutenir contre ses amis la cause de ses adversaires. Christophe se fâchait. Il reprochait à Olivier ses sophismes et son indulgence. Olivier souriait : il savait bien quelle absence d’illusions recouvrait cette indulgence ; il savait que Christophe croyait à beaucoup plus de choses que lui, et qu’il les acceptait mieux ! Mais Christophe, sans regarder ni à droite ni à gauche, fonçait, comme un sanglier.



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