Détective de l'Histoire by Tulard Jean

Détective de l'Histoire by Tulard Jean

Auteur:Tulard, Jean [Tulard, Jean]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Essai, France, Biographie, Entretiens, Histoire
Éditeur: Le Toto Invisible - GT
Publié: 2012-02-15T23:00:00+00:00


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La morale de l’Histoire

Histoire et nation. – Peut-on tirer des leçons de l’Histoire ? – Risques et plaisirs du métier d’historien. – L’art de la préface.

YVES BRULEY : Vous avez beaucoup écrit, notamment avec Guy Thuillier, sur la méthode en histoire, la morale de l’historien, le marché de l’histoire, les écoles historiques, mais avez-vous répondu à une question essentielle : à quoi l’histoire peut-elle bien servir ?

JEAN TULARD : L’historien est d’abord un chercheur, un détective qui cherche à retrouver et expliquer le passé. Il est ensuite le transmetteur de son savoir car, s’il le gardait pour lui, sa recherche n’aurait pas d’intérêt. Il est enfin le conservateur de cette mémoire, qui survit à travers ses livres et ses articles. Supprimez l’histoire et imaginez la vie à Paris. Les Parisiens longeraient le Louvre, regarderaient la colonne Vendôme, circuleraient autour de l’Arc de triomphe sans connaître la signification et l’origine de ces monuments. Vous me direz que les fellahs d’Égypte ont vécu à l’ombre des Pyramides et des colonnes de Karnak ou de Thèbes sans savoir ce qu’elles représentaient, faute de déchiffrement des hiéroglyphes. Jamais le devoir de mémoire n’a été autant invoqué qu’aujourd’hui.

— Les premiers historiens grecs (Hérodote ou Thucydide) concevaient l’histoire comme le récit d’un destin commun (d’une cité ou d’un peuple). Cette vision finalement très politique de l’histoire était encore forte au XIXe siècle, par exemple dans l’émergence des nationalités. Anatole France en donne une parodie caustique dans L’Ile des Pingouins, l’un de ses romans les plus drôles. On a un peu oublié Anatole France, mais on parle beaucoup du « roman national ». Peut-on se contenter d’une vision de l’histoire centrée sur l’État-nation, surtout en France, où l’histoire divise plus souvent qu’elle unit ?

— Au cœur de l’histoire, il y a le débat sur la nation. De Michelet à Lavisse, l’histoire de France est une apologie de l’identité nationale. Aujourd’hui, d’un côté on réédite l’Histoire de Lavisse, de l’autre on évacue des manuels scolaires, ou plutôt on noie l’histoire de notre pays dans le tableau de la civilisation chinoise, l’évolution des royaumes africains ou le message de l’islam. On pourrait se réjouir de cet élargissement s’il ne se déroulait sur fond de polémiques. La sérénité fait défaut. Il en fut toujours ainsi, il est vrai : Bossuet remis en cause par les Lumières, l’Action française contre la Sorbonne radicale-socialiste, la « nouvelle histoire » contre l’université positiviste. L’historien devrait pouvoir travailler loin des préjugés et des engagements, non retiré dans une tour d’ivoire, mais en dehors de la mêlée, avec pour seul souci la vérité des faits.

— Faut-il tirer des leçons de l’Histoire ?

— Valéry condamnait les prétentions des historiens à donner des leçons, à enseigner les peuples, à dégager une idéologie. Il dénonçait le flou dangereux du vocabulaire, l’inconscience qu’il y a à prononcer ces mots : un siècle, un peuple. Prisonnière de conventions, l’histoire passe à côté des faits essentiels : « L’introduction de la syphilis en Europe est un événement un peu plus important que le traité d’Utrecht56 », dit Valéry.



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