Conte de la barbarie ordinaire by Gillois

Conte de la barbarie ordinaire by Gillois

Auteur:Gillois
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Grasset
Publié: 2012-05-14T16:00:00+00:00


Les évènements se succédaient, avec leur sinistre régularité, pas un jour sans une anecdote à ajouter au chapelet des mauvais souvenirs.

Je rendais visite à Steven et les siens, tout en haut de l’immeuble 26. Ils avaient du mal à s’habituer à leur nouvelle vie.

Steven disait : « Chez toi, c’était l’arche de Noé, on se sentait protégés. On était bien. » Il m’avait demandé deux semaines d’hospitalité pour finalement rester chez nous deux ans et demi. J’estimais que c’était assez… Mais lui s’était attaché à ce havre de paix où cependant rien n’était paisible, sauf qu’on ne lui reprochait, sous mon toit, ni sa maladie ni son passé mouvementé.

Pour les aider un peu, je leur ai dit qu’ils pouvaient utiliser mon lave-linge. Steven est venu avec les affaires de son fils. Il a rempli le tambour et puis il est retourné chez lui, avec toujours ses épaules voûtées et son air accablé. Lorsque la machine a fini son travail, j’ai dit à Louis : « Porte ce sac de linge propre chez Zoltane », car je savais qu’il aurait plaisir à les voir.

Je l’ai attendu longtemps. J’ai eu peur.

Rien de précis dans mon appréhension. Juste la crainte d’une mère dont le fils tarde à rentrer. Il m’est revenu pâle comme un linge. « Les flics m’ont fouillé dans l’escalier ! m’expliqua-t-il. Ils m’ont demandé ce que je faisais là. Je leur ai répondu que j’habitais la cité, que j’avais apporté un sac de linge pour une voisine de la part de ma mère. Ils ne m’ont pas cru. Ils m’ont fouillé pendant au moins un quart d’heure, ils m’ont obligé à enlever mes chaussures et mes chaussettes pour voir si je cachais quelque chose à l’intérieur, ils m’ont même palpé le slip ! Ils croyaient que j’était venu acheter de la came. Et puis comme ils n’ont rien trouvé, ils m’ont finalement laissé partir… »

Il y avait, dans son récit, l’aveu d’une incompréhension totale. Pourquoi le fouiller lui, le gamin de passage, pourquoi les policiers n’arrêtaient-ils pas les chefs de bande, les donneurs d’ordre, ceux qui faisaient la loi dans la cité ?

Et surtout, pourquoi étaient-ce là les seules paroles que nous ayons à échanger, lui le fils mutique, et moi, sa mère désemparée ?

Pourquoi n’avions-nous pas quelque chose de beau à nous dire, pourquoi seulement ces cris de révolte et d’impuissance, et puis plus rien, le silence ? Les mots échouaient à traduire notre désarroi. Louis est retourné dans sa chambre, au fond de l’appartement, en bas de l’escalier qui l’isolait du monde. J’aurais tellement aimé lui donner à voir un autre monde que celui-ci.



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