Chroniques de l'idiotie triomphante: Terrorisme, guerres, diplomatie (1990-2003) by Régis Debray

Chroniques de l'idiotie triomphante: Terrorisme, guerres, diplomatie (1990-2003) by Régis Debray

Auteur:Régis Debray [Debray, Régis]
La langue: fra
Format: epub
Tags: articles, anthologie
ISBN: 9782213653310
Google: -0ogQYC4e70C
Éditeur: Fayard
Publié: 2004-03-30T22:00:00+00:00


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Rony Braumann, l'un des pionniers de l'humanitaire, remarquait récemment qu'il y a des humains plus humains que d'autres, qu'il y a des morts plus émouvants que d'autres. Le million de morts du Rwanda, les 500 000 enfants irakiens décédés depuis le blocus et les bombardements américains. Oui, il y a une humanité surexposée et une humanité sous-exposée, à visibilité sociale faible. Hors écran, hors réseau, qui ne méduse et ne sidère personne. « Quand on voit cela, on a envie de pleurer », disait très justement Jacques Chirac à New York. Et il a raison : quand on ne voit pas, on ne pleure pas. On zappe. Nos larmes sont vidéocommandées. En sorte que la compassion qui nous saisit tous devant le massacre des innocents n'est pas tout à fait innocente, hélas. Notre solidarité devant l'injustice a quelque chose d'injuste. D'où notre malaise, enfin, le malaise de ceux qui voyagent au Sud comme au Nord. C'est aussi le symptôme de la fracture technologique ou anthropologique entre les nantis qui ont les moyens de faire voir leurs ruines et leurs douleurs (tout en cachant leurs cadavres), et les damnés de la terre. Ceux-là peuvent être vus, fugacement, cinq secondes, une minute, en passant devant l'objectif des caméras, mais ne peuvent pas passer derrière. Pris dans le champ, mais non preneurs de vues. La démocratie, c'est champ/contre-champ. Les Américains ont, toute leur vie, filmé les bombardements depuis leurs bombardiers ou leurs hélicoptères, de haut en bas. Comme leurs missiles air-sol. On peut comprendre le traumatisme qui a consisté pour eux à devoir regarder, caméra au sol, ce qui pouvait ou non leur tomber du ciel. Le sol-air, jusqu'ici, c'était pour les Vietnamiens, les Irakiens, les Yougoslaves, les Libyens, enfin pour les voyous cloués au sol, qui n'avaient que ce qu'ils méritaient.



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