Printemps De Tunis by Abdelwahab Meddeb

Auteur:Abdelwahab Meddeb [Meddeb, Abdelwahab]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Albin Michel
Publié: 2010-09-29T04:00:00+00:00

23.

Du rôle d’Internet

Revenant sur le rôle d’Internet dans cette révolution, un autre fait m’est révélé par Sofiane Belhaj lorsque je l’ai rencontré pour la première fois en compagnie de Hind, dans la foulée de son arrivée à Tunis. C’était dans un café de la médina, juste après la Zawiya qui célèbre la mémoire du saint andalou Sidi Ali Azzouz émigré en Tunisie au XVIIe siècle. La terrasse du café donne sur la place dominée par une ancienne caserne de janissaires dont la façade exhibe une plaque dédicataire portant une des rares inscriptions en turc que compte la ville ; il s’agit de formules ottomanes transcrites en lettres arabes.

Le site de Sofiane a été repéré par certains blogueurs comme ayant été à l’origine de l’interruption de Facebook par la police. Il a reçu des protestations qui ont montré à quel point les internautes étaient attachés à ce support et tenaient à cette nouvelle forme de sociabilité. Aussi a-t-il eu l’idée de lancer un appel aux abonnés les incitant à résilier leur contrat, lequel stipule qu’une interruption unilatérale est légitime au cas où le serveur n’assure pas l’accès à l’intégralité des services. Le lendemain, il y a eu quatre mille résiliations. Comme tous les serveurs appartiennent à la mafia présidentielle, un affolement s’en est suivi en haut lieu. Ce sont des raisons vénales d’intérêt immédiat qui ont contribué au rétablissement de Facebook. Cet appât du gain a joué autant sinon plus que les pressions américaines qui ont exigé le libre accès au réseau.

L’instrument de cette révolution aura été Internet. C’est la première fois qu’une révolution réussit à partir de cette médiation par laquelle messages et témoignages ont transité en français, en arabe et en anglais.

Un autre événement d’Internet a participé à l’éveil des consciences et a autorisé plus d’un à s’allier à l’audace. Il s’agit des vingt-quatre documents officiels américains qui concernent la Tunisie rendus publics par Wikileaks. Les internautes tunisiens ont commencé leur vrai acte de désobéissance plus d’un mois avant le 17 décembre lorsqu’ils ont décidé de diffuser à l’échelle nationale ces documents. L’un de ces documents qualifie de « quasi-mafia » le cercle qui occupe le sommet de l’État. Ce que le sens commun tunisien a enregistré depuis des années est confirmé par l’officialité américaine.

La guerre cybernétique a commencé à l’occasion de cette diffusion. Les internautes tunisiens étaient déjà éprouvés lorsqu’ils se sont mobilisés en faveur des événements partis de Sidi Bouzid suite au sacrifice de Bouazizi le 17 décembre.

Sofiane et ses amis de la blogosphère ont acquis la certitude qu’ils étaient encouragés par les Américains lorsqu’ils ont découvert de nouveaux documents officiels émanant des notes diplomatiques envoyées par l’ambassade à Washington et n’appartenant pas au lot initialement diffusé par Wikileaks. Parmi ces documents, il y a cette note autographe de l’ambassadeur comparant les fantaisies du gendre de Ben Ali, Sakhr Materi, aux lubies d’Oudei Saddam, fils de Saddam Hussein, lorsqu’il avait vu un lion en cage dans sa demeure à Hammamet.

Quand le discours qui était destiné à rester caché est révélé, cela produit des ravages.

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