Les Passeurs de livres de Daraya. Une bibliothèque clandestine en Syrie by Delphine Minoui

Les Passeurs de livres de Daraya. Une bibliothèque clandestine en Syrie by Delphine Minoui

Auteur:Delphine Minoui [Minoui, Delphine]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Le Seuil
Publié: 2017-12-14T23:00:00+00:00


Le 27 février 2016, Daraya se réveille dans un étonnant silence. Pas une seule traînée de poudre dans le ciel, pas un tir, pas même le cri d’une sirène ou le ronronnement d’un hélicoptère. Un calme soudain, presque inquiétant, enveloppe l’enclave assiégée. La rumeur, confirmée au bout de quelques heures, évoque un cessez-le-feu : au terme de laborieuses négociations, Washington et Moscou ont fini par conclure une trêve entre pro- et anti-Assad sur l’intégralité du territoire syrien. Les bombes se sont tues. La guerre a été mise entre crochets. Du moins provisoirement. Une nouvelle page pour Daraya ?

Avec la trêve, un semblant de vie se réinstalle dans l’enclave de Daraya. Comme ces herbes folles qui poussent entre les ruines, les derniers habitants s’échappent enfin des sous-sols de la cité martyre. Une tête, deux têtes, trois têtes, mille têtes… Les yeux froncés, la peau fanée, ivres de fatigue, ils hument l’odeur de la normalité, sondent le silence, cherchent l’anomalie. Au bout du fil, Ahmad a retrouvé le sourire. D’une voix enjouée, il détaille son quotidien sans coups de tonnerre.

À part quelques tirs d’artillerie, la ville a retrouvé son calme. Enthousiaste, il me raconte les petits attroupements aux carrefours, les panneaux qui fleurissent au coin des rues, la parole qui se dérouille, les slogans qui surgissent à nouveau comme on renaît à la vie. Dans ma boîte aux lettres électronique, saturée des photos qu’il m’envoie, un jeune brandit une pancarte. « J’aimerais être une bougie dans le noir ». C’est un poème du palestinien Fayeq Oweis calligraphié en arabe. Sur une autre image, un bout de carton tremble entre les mains d’une jeune fille voilée de blanc. Je lis : « Je ne suis ni le Front al-Nosra ni Daech. Je suis juste une fille qui subit le siège de Daraya. » Entre vers improvisés et pamphlets politiques, les panneaux fêtent les retrouvailles du mot « liberté ». Un air de révolution, comme à ses débuts, susurre Ahmad. Et ce frisson identique à celui du premier jour.

Au-dessus des têtes, le ciel est d’un bleu presque blanc à force de soleil. Un printemps précoce, comme impatient d’éclore. Sur chaque image reçue, ces petits signes d’un bonheur retrouvé. Des gamins escaladent la carcasse d’une balançoire désossée. Des adolescents envahissent une place esseulée. Un chat passe. Un oiseau se prélasse sur un câble arraché. Ahmad me raconte que la bibliothèque a retrouvé son rythme de fréquentation. Que les livres valsent de nouveau de main en main. Qu’après de longues semaines d’interruption les trois écoles de la ville ont rouvert leurs portes. Dans les salles de classe, les enfants se remettent à lire et à écrire, les garçons se chamaillent, les filles se fabriquent des bracelets avec des bouts de rien. Il fait encore froid, mais les cœurs ont chaud. Ils ont chaud du retour au chahut coutumier et réconfortant. Ils ont chaud des rires. De l’envie d’apprendre, de continuer, d’avancer. Tout simplement d’exister ! Je l’écoute et j’imagine les petits doigts qui se lèvent au-dessus



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.