Michael Bishop by La montagne aux licornes

Auteur:La montagne aux licornes [La montagne aux licornes]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

6. Peintre animalier américain (NDT)

Chapitre 19

Libby n’arrivait pas à croire qu’elle portait une culotte, une robe, une veste bien coupée, un foulard, du rouge à lèvres, des talons hauts, mais c’était bien le cas et elle se sentait… pas elle-même. Bo était assis à côté d’elle au volant de sa Mazda. Dans son costume rayé il ressemblait à un mannequin : pâle, anonyme, inaccessible. Ils avaient filé du Tipsy Q à la banlieue de Pueblo en tout juste plus d’une heure parce que Bo avait fait du cent-dix sur la I-25. Comme lors de leur bien plus long voyage d’Atlanta à Snowy Falls ils n’avaient que peu discuté ensemble.

– Tu passes à la maison ou directement à l’église ? demanda enfin Libby.

– Ned m’a demandé de ne pas passer à la maison.

– Il a dit également de ne pas venir à l’enterrement. Si tu ignores ça, pourquoi pas le reste aussi ?

Libby grimaça quand juste en sortant de l’I-25 Bo alluma son clignotant droit tout en virant à gauche dans une intersection encombrée. Il avait commis ce genre d’idioties sur tout le trajet, tripotant le bouton de volume de la radio plutôt que la recherche de stations ou activant les essuie-glaces alors qu’il cherchait le chauffage. Des bourdes idiotes. Mais pourquoi pas ? Son père était subitement mort d’une attaque, soi-disant sans rapport avec sa maladie de cœur, et Ned avait demandé à Bo au téléphone de tenir compte des besoins de Josephine et de garder ses distances avec la cérémonie dans leur ancienne église presbytérienne. Lib était la bienvenue, mais la présence de Bo embarrasserait voire mettrait en rage et humilierait la famille.

– Je suis de la famille, répondit Bo, et Ned est un trou du cul à double visage.

Il avait dû parler trois fois depuis leur départ du ranch et seulement pour vilipender son frère.

– L’image est intéressante, commenta Libby.

Ils n’allaient pas à la petite maison en stuc des parents de Bo, comprit-elle avec soulagement, mais à l’église et bientôt un édifice de pierre empêtré dans le lierre s’offrit à leur vue de l’autre côté de la rue d’un parc pas encore verdoyant, où deux écureuils noirs aux oreilles touffues galopaient sur un manège en métal. Tant de proches étaient déjà là qu’il leur fallut quinze minutes pour se garer.

Allant de la Mazda au sanctuaire Libby regretta que Bo ne porte pas une cagoule, un chapeau, n’importe quoi pour cacher qu’il était malade comme le suggéraient les lésions du sarcome de Kaposi sur sa tempe, sa joue, son menton et tout autour de sa bouche, mais Bo avançait d’un pas mâle. Peut-être que sa détermination et sa maigreur blême comptaient comme un genre de déguisement.

Dans la pénombre de l’église Libby et Bo prirent place aux derniers rangs, la seule concession réticente de Bo aux demandes de son frère qu’il ne se fasse pas remarquer. Leur vision s’accommodant, ils virent le cercueil de son père devant l’autel.

– J’y vais, annonça Bo.

Le cœur de Lib se remplit de doute.

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