La nuit en question by Wolff Tobias

La nuit en question by Wolff Tobias

Auteur:Wolff, Tobias
La langue: fra
Format: epub
Tags: Litt. étrangère, Nouvelles
ISBN: 9782267019704
Publié: 1996-09-15T00:00:00+00:00


Migraine

C’est au travail que ça avait commencé. Au premier élancement, elle eut le souffle coupé et ses yeux s’écarquillèrent. Puis il y eut un répit, avec seulement une légère pression dans la nuque. Joyce posa les mains de part et d’autre du clavier et attendit. Des box alentour lui parvenait le cliquetis régulier d’autres claviers. Elle savait ce qui était en train de lui arriver, elle le savait si bien que lorsque vint la deuxième vague, elle ne la ressentit pas comme une douleur, mais comme une terreur à la pensée de ce qui allait encore venir. Joyce éteignit son ordinateur, puis rassembla les comptes-rendus d’analyses et les glissa dans un classeur.

Elle s’arrêta sur le seuil du bureau de sa chef pour dire qu’elle rentrait tôt. Celle-ci offrit un visage indulgent et proposa d’appeler un taxi si Joyce ne se sentait pas capable de conduire ; elle pourrait payer avec la menue monnaie.

— Elle est là pour ça, dit-elle.

— Je vais me débrouiller, lui répondit Joyce. Inutile de parler à voix basse, ajouta-t-elle.

Pour rentrer, Joyce ne prit pas sa voiture. Elle appela un taxi dans le hall de l’immeuble, comme elle en avait toujours eu l’intention. Sa chef pouvait croire qu’elle donnait de l’argent sans rien attendre en retour, mais ça ne marcherait pas. Tout ce que les gens vous donnaient du fond du cœur, ils s’en souvenaient et s’attendaient à ce que vous vous en souveniez, éternellement. Par expérience Joyce savait que la menue monnaie, ça n’existait pas.

En rentrant elle trouva deux cartons dans le salon, remplis des quelques effets personnels de sa colocataire. Joyce et Dina s’étaient de nouveau querellées et Dina s’engageait dans le dernier acte de leur résolution commune, à savoir qu’elle devait partir. Joyce regarda les cartons. Elle songea à fouiller dedans, puis repoussa cette idée, la jugeant indigne d’elle. C’était le genre de chose qu’elle faisait, mais qu’elle s’était, difficilement, entraînée à ne plus faire. Elle ferma les yeux un moment, vacillant lentement d’un côté et de l’autre, puis traversa la pièce et alluma la télévision. Un présentateur hurlant, vêtu d’un blazer jaune, s’efforçait de se faire entendre au-dessus des vociférations de son public, tandis que les secondes tictaquaient sur une grosse horloge. Joyce coupa le son et alla dans la cuisine mettre de l’eau à bouillir pour préparer une tisane.

Le journal était ouvert sur le comptoir, les bords soulevés par la brise. Dina avait encore laissé la fenêtre ouverte. Joyce ne cessait de la rappeler à l’ordre, mais elle refusait de prendre les précautions ordinaires et, ignorant la critique, considérait sa négligence comme la conséquence insignifiante, voire sympathique, du fait qu’elle était un esprit libre et détaché des contingences matérielles. Mais Joyce l’avait percée à jour ; elle avait compris qu’en adoptant ce rôle Dina lui avait imposé le rôle inverse, celui de la névrosée décidée à tout maîtriser. Joyce s’était parfois surprise à réagir comme telle. Mais ce n’était plus le cas. Tout cela était bien fini.

Joyce mit l’eau à bouillir et alla à la fenêtre.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.