Les entremetteurs et autres nouvelles by Wharton Edith

Les entremetteurs et autres nouvelles by Wharton Edith

Auteur:Wharton, Edith
La langue: fra
Format: epub
Tags: Litt. étrangère, Nouvelles
ISBN: 9782707143464
Éditeur: La Découverte
Publié: 2004-09-15T00:00:00+00:00


II

Mrs Davant regardait les tableaux d’un air révérencieux.

— J’ai toujours dit qu’il fallait les montrer à l’Europe.

Mrs Davant était jeune, crédule et débordait d’émotions extravagantes. Elle rappelait à Claudia la jeune fille qu’elle avait été… La jeune fille qui, dix ans auparavant, avait craintivement posé le pied sur ce même seuil.

— Non pas pour lui, continua Mrs Davant, mais pour l’Europe.

Claudia sourit. Elle se réjouissait que les tableaux de son mari fussent sur le point d’être exposés à Paris, et partageait les vues de Mrs Davant quant à l’importance de cet événement ; néanmoins, elle trouvait que son hôte en faisait un peu trop. Les dix années passées dans l’atmosphère d’adulation qui entourait Keniston avaient insensiblement développé chez Claudia une préférence pour le langage modéré. Elle croyait en son mari bien sûr. Croire en lui avec toujours plus de confiance et d’ardeur était devenu une des lois nécessaires de son existence ; mais elle ne croyait pas en ceux qui l’admiraient. La foi qu’ils lui vouaient était probablement tout aussi authentique que la sienne mais ne se justifiait pas aussi facilement. Quelques-uns des admirateurs de Keniston le jugeaient selon leurs propres normes, et dans ce cas, comment ne pas avoir l’impression qu’à Hillbridge, où l’admiration était à son comble, les jugements manquaient d’objectivité ? Et parfois elle était prise d’un doute terrible à l’idée que ses propres convictions étaient sans doute tout aussi relatives. Ce sens inné de la relativité que même l’Onondaigua n’avait été en mesure d’enrayer chez Claudia, s’était renforcé chez Mrs Keniston sous l’influence de l’absolutisme artistique qui régnait à Hillbridge, et, souvent, elle s’étonnait que son mari remette si peu en cause la qualité de l’admiration qu’on lui vouait. L’absence d’esprit critique de son époux à l’égard de lui-même et de ses admirateurs fut un des enseignements plutôt surprenant de son mariage. Que l’artiste crût en sa propre capacité créatrice lui avait tout de suite semblé être le signe et le gage de l’excellence. Elle savait qu’un talent hésitant n’avait pas d’avenir. Mais Keniston tirait de sa réussite une satisfaction qui la rendait perplexe. Elle s’était toujours imaginé que l’artiste authentique était celui qui se considérait comme le véhicule imparfait de l’émotion cosmique… Que derrière chaque difficulté surmontée s’en cachait une autre, et que la vision de l’artiste gagnait en ampleur à mesure que son horizon s’élargissait. Depuis son mariage, elle jouissait de deux privilèges : celui d’être initiée aux luttes génératrices de création, et celui de dispenser les rayons consolateurs de la foi sur le sentier de l’homme laborieux. Mais croire en un homme qui se rendait déjà à lui-même ce service avait quelque chose d’inutile, et à force de se heurter au mur sans faille de la suffisance de son époux, l’ardeur de Claudia commençait à s’épuiser. Elle souriait maintenant de la naïveté qui lui avait fait croire qu’une communion intellectuelle avec son époux lui donnerait accès aux confins de son inspiration artistique. Elle s’était rendu compte que les processus créatifs généraient rarement leur propre explication, et les difficultés que rencontrait Keniston lorsqu’il s’exprimait ne la décourageaient plus.



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