Le passager by Cormac McCarthy

Le passager by Cormac McCarthy

Auteur:Cormac McCarthy [McCarthy, Cormac]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman, Roman noir, Littérature américaine
Éditeur: Éditions de L'Olivier
Publié: 2023-01-16T13:10:27+00:00


Il arriva à Paris à l’automne 1969, par le train-ferry de Londres. La dernière chose que lui dit Chapman fut le vieux cliché sur les coureurs automobiles. Des excités, des gosses de riches et des imbéciles. Et parfois on trouve les trois sous le même casque.

C’est moi que tu vises ?

Tu arrives trop tard, Bobby. Le temps des gentlemen pilotes est révolu. J’ai vu beaucoup de mecs riches et cons devenir pauvres et futés. Dans la course tout est compensable. À part la qualité des freins. Le seul avantage que tu pourrais avoir, c’est qu’en Formule automobile il y a effectivement un substitut à la puissance moteur. Ça s’appelle l’ingénierie.

Il sortit de la gare du Nord muni de ses deux sacs de cuir et s’immobilisa dans la nuit parisienne. Il resta longtemps immobile. Pour tenter de rassembler ses esprits. Enfin il prit un taxi et indiqua au chauffeur l’adresse du Mont Joli, rue Fromentin près de Pigalle. C’était un hôtel fréquenté par des forains et chaque matin on pouvait voir des jongleurs et des hypnotiseurs et des danseuses exotiques et des chiens savants à la buvette du hall. Il loua un garage dans le neuvième arrondissement et entreprit de réunir des outils. La voiture arriva par camion une semaine plus tard et Armand le lendemain. Chaque jour il traversait en bus les banlieues lugubres et déverrouillait la porte et prenait son bleu de chauffe et l’enfilait. La Lotus était surélevée par des crics et Armand et lui roulaient à travers le sol de béton sur des chariots de mécaniciens pour régler la chasse et le carrossage et le pincement. Ajuster le demi-train. Puis recalibrer l’injection et caler la distribution sur le minuscule moteur hurlant. Ils transportaient la voiture jusqu’au circuit sur la remorque tractée par le camion d’Armand et ils se relayaient pour faire des tours de piste et tester les nouveaux réglages puis ils la rapportaient, parfois à la nuit tombée.

Les premiers soirs il restait tout seul sur le banc à réassembler le moteur de rechange. Chapman avait assuré le gros de la mécanique et chemisé les cylindres. Tout était en aluminium et il y avait énormément de chasse. Il resserra les boulons de la bielle et mesura la course avec un cadran indicateur. Il consulta le manuel et mesura encore. Il y avait un chauffage à la paraffine dans l’atelier mais il avait toujours froid. Armand et lui déjeunaient tous les midis dans un tabac à deux rues du garage. Les habitués étaient stupéfaits de voir attablé parmi eux un Américain en bleu de chauffe graisseux.

Elle laissa tomber ses cours pour venir à Paris et le soir il l’emmenait dîner chez Boutin tout près de l’hôtel. Henry Miller y mangeait dans les années trente. On y servait un délicieux veau à la crème pour sept francs. Les prostituées ne la quittaient pas des yeux. La première course avait lieu à Spa-Francorchamps et la Lotus fila comme un train pendant vingt-sept tours et puis s’arrêta net quand le distributeur d’essence lâcha.



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