Angelus by Winton Tim

Auteur:Winton, Tim
La langue: fra
Format: epub
Tags: Nouvelles, Litt. étrangère
ISBN: 9782743619251
Éditeur: Rivages
Publié: 2004-10-15T00:00:00+00:00

SABLE

Frank et son grand frère Max marchaient derrière les hommes longeant la plage blanche dans le soleil couchant. Ils marchèrent une éternité. Le soleil bouillait dans la mer et les dunes désertiques viraient au rose. L’attirail de pêche tintait et grelottait contre les cannes sur les épaules des hommes. Frank écoutait le cliquetis rythmique du verre de la lampe et son pas s’accorda à lui pendant qu’il chantonnait tout bas : hot cross buns, hot cross buns. Des veines se détachaient sur les jambes de son père. Les empreintes de pas des hommes étaient profondes. Elles étaient comme des bouches avec des langues d’ombre pendantes. One-a-penny, two-a-penny, hot cross buns. On n’était pas à Pâques mais Frank n’arrivait pas à se sortir cette chanson de la tête.

De temps en temps Max fonçait en avant pour marcher au milieu des potes de leur père. Il disait des trucs qui les faisaient rire. Il avait dix ans déjà et était capable de faire rire des hommes. Leur mère ne lui manquait pas. Frank savait qu’il devait la fermer sur elle ; cela ne faisait que deux semaines.

Quand ils parvinrent enfin aux rochers, les hommes enfoncèrent des tuyaux dans le sable pour y planter leurs cannes à la verticale et leur père alluma la lampe à gaz. Le soleil avait disparu mais le ciel était encore clair ; il y tournoyait du jaune, du vert, du bleu comme dans une ecchymose. Quand les caisses à attirail s’ouvrirent il flaira l’huile de baleine et les pilchards. Frank regarda son père fixer toute une clique d’hameçons dont les courbes étincelèrent à la lueur de la lampe. Autour de lui les autres parlaient à voix basse et fumaient. Ils étaient exactement pareils à des dames faisant du tricot, pareils aux amies de sa mère. Max était descendu au bord de l’eau choper des coquillages à la volée dans la crête des vagues giclant sur le plat du récif.

Maintenant qu’il était habitué à lui, Frank adorait son père. Il lui fallait quelques jours tous les étés pour réapprendre à aimer son odeur aigre-douce, pour comprendre les fissures sombres dans les paumes de ses mains et la façon qu’il avait de plisser les yeux derrière la fumée de sa clope. Frank le regarda ramasser un pilchard à moitié décongelé et l’enfiler en le cousant sur les hameçons. Max revint et se jeta dans le sable entre eux.

Maintenant les garçons vous vous tenez bien, dit leur père en se redressant de sa position accroupie. Quand la marée descendra vous pourrez vous avancer sur le récif avec nous, d’aaaccord ?

Est-ce qu’on peut jouer dans les dunes ? demanda Max.

Ouais, mais n’allez pas loin. On pourrait avoir besoin de vous pour nous apporter la gaffe en courant.

Les deux autres hommes s’éloignaient déjà en pataugeant dans l’eau sur le récif, leurs appâts se balançant dans ce qui restait de lumière, et avant que leur père ait pu les rejoindre ils lançaient déjà dans le crépuscule.

Un moment Frank resta agenouillé dans le sable tiède pour regarder. On pouvait voir leurs têtes et la courbe de leurs cannes se découper dans le ciel.

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