L'heure hybride by Unknown

L'heure hybride by Unknown

Auteur:Unknown
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782897125721
Éditeur: Mémoire d'encrier
Publié: 2018-10-20T00:00:00+00:00


J’entends le frou-frou du vent à travers les grands arbres du jardin, les pas pressés des travailleurs rentrant chez eux, le craquement des toitures en tôle du quartier qui se refroidissent une fois le soleil penché vers la mer. Les teintes du couchant dansent un ballet horizontal avant de disparaître, aspirées par les flots. Cette brise caressante qui déride l’heure vient du large, je le sais, je le sens, en me concentrant un peu je peux même entendre le cri lointain des goélands qui frôlent de leur vol puissant les hautes vagues à Arcachon. Je m’imagine aussi le bord de mer au bas de la ville, le quai Colomb où j’aime parfois me promener seul quand me prennent des envies de grand large. Tous ces bruits proches et lointains, enveloppés des couleurs brûlées du crépuscule, trouvent leur écho en moi et soulèvent une douce résonance qui me rassure en mettant des balises dans mon existence. Car des fois j’en oublie ma propre identité. Je me suis composé tant de personnages, inventé tant de biographies qu’il m’arrive de me perdre dans le labyrinthe des dizaines de Rico L’Hermitte que j’ai créés de toutes pièces.

Après la rupture avec le Colonel vint un temps de dérive. Désarçonné d’avoir perdu la protection de mon mentor, je ne savais comment vivre, comment voler de mes propres ailes. Je n’ai plus revu Kétina. Mon attirance envers elle disparut avec l’amitié du Colonel. Je me rendis vite compte que mon engouement pour cette fille n’était au fond conditionné que par la coloration perverse que lui donnait mon maître. Finis la promiscuité et le vice, fini l’intérêt. Oui… il avait réussi à faire de moi un beau salaud, le Colonel. Mais la vie continuait… ma majorité avançait à grands pas, sonnant le glas de mon allocation de pensionnaire de l’État. Je ne pouvais plus compter que sur moi-même.

La providence me sourit en la personne d’une dame chez qui ma logeuse me pria de récupérer un paquet arrivé pour elle des États-Unis. Mme Élise G., une veuve bien installée dans sa soixantaine. Elle vivait seule dans sa trop grande villa de Bourdon, sevrée de ses trois fils partis vivre à l’étranger. Une résidence de rêve où elle semblait périr d’ennui. Ma visite inattendue devint l’événement central de sa journée et elle m’offrit de prendre un café en sa compagnie. Dès que je la vis, je compris qu’elle serait ma planche de secours, mes rentes, mon assurance-vie. Mes instincts d’opportuniste prirent la situation en main. Je pouvais sentir Mme Élise, flairer sa solitude, sa peur de vieillir cachée derrière les immenses verres fumés qu’elle portait encore, malgré le soleil déjà déclinant. Sur une terrasse fleurie dominant la baie de Port-au-Prince, l’hôtesse me servit le café avec des gestes timides et gracieux. J’étais pleinement conscient de l’effet que ma présence produisait sur cette femme et de l’importance de ce moment de mon existence. Tout ce qui m’entourait vibrait d’une vie particulière, chaque objet me parlait un langage que je comprenais. Le parfum du jasmin grimpant la pergola m’étourdissait.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.