Les rochers de Poudre d'Or by Nathacha Appanah

Les rochers de Poudre d'Or by Nathacha Appanah

Auteur:Nathacha Appanah [Appanah, Nathacha]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Historique
ISBN: 9782072579448
Éditeur: Gallimard
Publié: 2014-01-15T05:00:00+00:00


28 mai

Elle a noué une sorte de turban dans ses cheveux de garçon et son visage s'est affiné. Elle est rentrée dans la cabine, vêtue du même sari délavé qui tient je ne sais comment tellement il est miteux. Devon m'a regardé et je lui ai dit que je m'en occupais. Elle s'est exprimée dans un anglais correct malgré cet accent indien qui roule les « r » à n'en plus finir et qui confond le « b » et le « V ». Elle m'a dit qu'elle souffrait de ses pieds. J'ai failli éclater de rire. Ah bon ? Je pensais que les Indiens avaient des pieds à toute épreuve, prêts à marcher dans la merde, sur les rochers, sur les gravats brûlants de Calcutta ou à patauger dans la boue de la mousson. Elle s'est retournée et m'a montré la plante de ses pieds, en sang. Elle n'avait pas ces pieds écorchés et ridés de crasse comme la plupart des Indiens. Cette fille n'était pas une paysanne ou une paria embarquée vers un destin meilleur.

J'ai fait venir de l'eau chaude de la cuisine, du sel et je lui ai recommandé de tremper ses pieds pendant une bonne heure. Elle m'a regardé et m'a remercié. J'ai vu qu'elle n'avait pas peur. Tous les Indiens ont peur des Anglais, même les recruteurs, même les instruits, même les maharajas, encore un peu maîtres chez eux. Elle, non. Elle m'a souri comme l'aurait fait n'importe quelle Anglaise. Je l'ai fait remonter une heure après, les pieds enveloppés dans des pansements secs et propres. Elle me plaît cette fille. Ce sentiment m'agace profondément et c'est pour cela que j'ai autant bu, je crois. J'ai avalé trois whiskies avant même de monter pour le dîner. William m'a dit, l'air sévère, que je devrais aller me coucher mais je n'y ai pas prêté attention. J'ai repris trois scotchs à table et j'ai commencé à raconter des histoires d'Indiens pissant le sang ou vomissant leurs viscères, mon quotidien depuis cinq ans. J'ai vu que le joueur de cartes était là et je l'ai attrapé par le col. Je voulais qu'il redescende dans sa putain de cale ! Il a commencé à crier comme un cochon qu'on égorge et Devon m'a tiré hors de la salle à manger. Je ne me souviens plus très bien de ce qui s'est passé après mais, ce matin, j'avais encore du sang sur les mains.



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