Les oreilles de la jungle by Pierre Boulle

Auteur:Pierre Boulle [Boulle, Pierre]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: J'ai Lu
Publié: 1972-04-30T22:00:00+00:00

2

L’Oncle était mort. Dans son village, sa maison natale reconstruite était pieusement entretenue par la nuée de ses neveux et nièces. Dans les hautes sphères, le nouveau Président continuait la politique de son prédécesseur et s’efforçait de mener à bien certains de ses projets.

L’unification du Nord et du Sud, attendue depuis des siècles, et sans laquelle l’Oncle sentait que rien de grand ne pouvait se faire au Vietnam, figurait au premier rang du problème actuel. Il faudrait attendre la fin de la guerre pour la voir réalisée, mais, prévoyant que celle-ci se terminerait peut-être plus tôt qu’on ne le pensait, le Président était soucieux de préparer le pays aux nouvelles exigences de cette unité et d’accélérer le plan de la future mise en valeur d’un Vietnam régénéré. Depuis plusieurs mois déjà, différentes mesures avaient été prises dans cet esprit.

La première était la création d’un ministère de la Construction, à la tête duquel fut placé un des ingénieurs les plus compétents de la République, un de ceux dont les autorités appréciaient, non seulement la science, mais la hauteur de vues et l’esprit de progrès. Kim, sortant d’une grande école d’Occident, ayant travaillé de nombreuses années aux États-Unis avant de regagner son pays et participé là-bas à de gigantesques réalisations en matière de travaux publics, était qualifié mieux que tout autre pour ce poste. Il s’attela à sa tâche, armé des meilleures connaissances techniques, de son expérience et, en outre, avec l’enthousiasme que procure la perspective de la création, dans un pays où presque tout est à faire. Malheureusement, sa tâche était hérissée de difficultés.

Il exposa quelques-unes de celles-ci à Madame Ngha, qui vint lui rendre visite quelques jours avant la conférence prévue par le Président pour discuter justement de ces questions. Elle estimait beaucoup le ministre Kim et, ayant en tête depuis quelques jours une ébauche de vues personnelles originale en matière de travaux publics, tenait à les comparer avec les siennes.

— On peut toujours faire des projets, dit Kim, qui paraissait découragé. J’en ai fait ; de beaux, je pense ; de grands, en tout cas. Ce n’est pas l’imagination qui me manque et j’ai dans mes services des spécialistes aussi compétents que les meilleurs des pays occidentaux. Je soumettrai ces plans à la réunion. Je crains, hélas ! qu’ils ne soient pas acceptés.

— Pourquoi ?

— L’argent. Pour réaliser ce que je voudrais faire dans ce pays, voies de communication, électrification, cités nouvelles, il nous faudrait des sommes colossales que nous ne trouverons pas après la guerre.

— Je remarque, interrompit-elle, que vous placez les voies de communication au premier rang.

— C’est essentiel. C’est le premier pas à faire si nous voulons devenir un pays moderne…

Il lui expliqua pourquoi. Elle se réjouit de voir que les conceptions du ministre technicien correspondaient merveilleusement aux siennes sur ce point. Mais le problème financier ne semblait pas lui apparaître sans solution.

— Dans d’autres pays, des réalisations grandioses ont été faites, même à partir de rien.

— À partir de rien, Ngha, c’est cela ! s’écria Kim.

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