L'enfant des Lumières by Françoise Chandernagor

L'enfant des Lumières by Françoise Chandernagor

Auteur:Françoise Chandernagor [Chandernagor, Françoise]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman historique, Littérature française
ISBN: 9782877062411
Éditeur: De Fallois
Publié: 1995-05-30T22:00:00+00:00


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Drôle d’époque que celle où la lecture de Voltaire peut conduire un provincial à l’échafaud, mais où ce même Voltaire, ami des ministres, reçoit à Paris les honneurs d’un chef d’État ! Curieux monde que celui où l’Émile, condamné par le Parlement, est brûlé de la main du bourreau, mais où l’ouvrage interdit figure, au vu de tous, dans la bibliothèque du Roi ! Étrange société que celle où la censure s’oppose aux pièces de Beaumarchais, mais où la Reine elle-même joue devant la Cour l’auteur censuré !

Sous prétexte de grâce, de subtilité, le siècle s’écartèle, se dédouble, s’oublie jusqu’à la folie. Insensée, l’élite, qui se croit douée d’ubiquité, prétend être à la fois ici et là-bas – conservatrice avec les conservateurs, et frondeuse avec les frondeurs. « Tu respecteras la loi que tu édictes » : vieil adage qu’aucun dirigeant ne gagne à mépriser. Car les sociétés se gouvernent dans la simplicité : quand la règle et le modèle divergent, il faut changer la loi ou changer d’élites. Parfois, sur son élan, le peuple change les deux…

Naturellement, ces réflexions passaient les compétences de Madame de Breyves. L’état de confusion, de mensonge où vivaient ses contemporains, elle en souffrait jusqu’au malaise, mais ne pouvait ni remonter aux causes ni considérer les effets. Dans ce labyrinthe au dessin mouvant, ce maquis d’épines où tout l’écorchait, elle croyait guider de son mieux un enfant qui grandissait et dont elle sentait bien qu’il ne se laisserait plus longtemps mener. À son Petit Poucet elle donnait d’ultimes repères. À peine des principes : des jalons. Les points cardinaux : la mousse sur un tronc, ou l’ombre des arbres à midi, marquent le nord… À l’enfant sans bagages, vagabond sans boussole, elle apprenait à s’orienter, pour qu’il survive sans elle aussi longtemps qu’il le faudrait.

Inlassablement elle lui montrait les pièges, lui dénonçait les poisons, lui apprenait à se faufiler dans les ronciers, à charmer les orties, à se méfier des bêtes sauvages : « C’est tuer pour rien, Alexis, que de ne pas tuer assez » ; « il ne faut pas marcher sur la queue du serpent, ni couper la retraite d’un ennemi puissant » ; « les blaireaux s’accommodent de la supériorité du renard parce qu’il pue autant qu’eux » ; « c’est le sang qui fait le fauve : beaucoup égorgent parce qu’ils avaient griffé » ; « affiche deux ou trois vices : comme la mûre sur la ronce, ils rassureront ».

Mais le temps lui manquait désormais pour enseigner : déjà, dans la forêt du monde, Alexis s’éloignait… Sa mère, son précepteur, la vieille Marie, la grosse Babet, tout le monde s’essoufflait à le suivre : il ne tenait plus en place, arpentait le domaine à grandes enjambées, galopait d’une traite jusqu’à Bonnat, filait chez Saint-Germain-Beaupré, courait les collines avec Vallantin, nageait comme un perdu et chassait comme un damné. On le croyait ici, il était déjà là, se chargeant d’ailleurs de mille petits services – lettres à porter, ordres à donner, emplettes à faire.



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