Jimi Hendrix by Frédéric Martinez

Jimi Hendrix by Frédéric Martinez

Auteur:Frédéric Martinez [Martinez, Frédéric]
La langue: fra
Format: epub
Tags: det_, Rock, Biographie Musicale
ISBN: 9791021009738
Éditeur: Tallandier
Publié: 2015-01-13T23:00:00+00:00


Mike Jeffery appréciera. Malgré la sonorisation déficiente, malgré ses comparses qui manquent de complicité et peinent à jouer ensemble, malgré la fatigue et malgré tout, Jimi se surpasse, transfiguré par la musique. Ce matin-là, sa prestation ressemble plus à la quête fiévreuse d’un Graal musical qu’au show réglementaire avec guitares immolées et effets de manche, démonstration clinquante d’une virtuosité dont Jimi Hendrix, le plus grand guitariste du monde, n’a plus besoin de faire la preuve. Beau comme sa légende, Hendrix se promène du côté du Delta, met un peu de bleu dans son rock, reste inhabituellement sobre même s’il concède quelques accords avec les dents, joue un Voodoo Child inspiré, tire la langue, ouvre la bouche et ferme les yeux, se balance au gré des notes, chaman en extase. Il a franchi un palier, se hisse désormais sur des cimes où ni son groupe ni personne ne peut plus le suivre. De nombreux spectateurs, épuisés par ces trois jours de paix, d’amour, de décibels, s’en vont voir ailleurs si l’herbe est plus verte ou écouter le son du silence, bref laissent le guitariste gaucher poursuivre seul sa course étincelante ; on se demande bien pourquoi. Peut-être sont-ils sourds. Jimi n’est pas aveugle et, piqué au vif sans doute, commente en s’efforçant de sourire : « Vous pouvez partir, si vous voulez. On ne fait que jammer, c’est tout. O.K. ? Vous pouvez partir, ou vous pouvez applaudir. » Tant pis pour eux. Ceux qui partent ne savent pas qu’ils vont manquer un temps fort de la geste de Jimi qui entame bientôt une version de l’hymne américain promise à la postérité.

Interpréter le Star Spangled Banner sur ce champ battu des vents du pacifisme peut sembler un pari audacieux, voire même une provocation pour les apôtres du flower power rassemblés à Woodstock. Sauf que. Écoutez bien. Hendrix joue un hymne ensanglanté par les obus, la mitraille, les bombes, les moteurs des bombardiers, les sirènes des ambulances, tout l’effroi de la guerre dont sa guitare imite la poignante cacophonie à coups de pédale wah-wah et de tige vibrato. Médusés, les spectateurs n’en croient pas leurs oreilles. Promu hymne de la contestation, le Star Spangled Banner de Jimi Hendrix ne manque pourtant pas d’ambiguïté. Hendrix, ancien soldat, ne partage pas toutes les convictions des hippies. S’il reste un partisan de la paix, sa révolte contre l’Oncle Sam ne s’avère pas systématique. Deux ans plus tôt, il avait déclaré, en pleine effervescence du Swinging London :

« Est-ce que vous avez renvoyé les Américains, lorsqu’ils ont débarqué en Normandie ? C’était aussi de l’ingérence ! Mais à l’époque, votre peau était en jeu. Les Américains se battent au Viêt Nam pour le monde libre. S’ils s’en vont, les Vietnamiens seront à la merci des communistes. D’ailleurs, il ne faut pas sous-estimer le péril jaune. Bien sûr, la guerre, c’est horrible, mais pour l’instant, c’est le seul moyen de garantir la paix. »



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