Le pianiste sans visage by Christian Grenier

Auteur:Christian Grenier [Grenier, Christian]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Jeunesse
Éditeur: Rageot
Publié: 2015-04-04T00:00:00+00:00

Des semaines difficiles

La « voix » de mon père, je l’écoutais souvent.

J’avais demandé à Pierre de me faire, sur C.D., une copie des bandes magnétiques. Beaucoup ne contenaient que de la musique enregistrée. Des concerts très anciens, puisque le commentateur, d’une voix officielle, un peu vieillotte, annonçait avec emphase :

« Merci d’être à l’écoute de France IV. L’émission que vous allez entendre va être retransmise en stéréophonie. Vous pouvez procéder au réglage de votre récepteur. Voici la voix droite… »

J’attendais avec impatience le moment où serait annoncé :

« Mise en ondes, Oscar Lefleix ! »

À cette époque, le nom de l’ingénieur du son était toujours cité au générique. Il y avait un « metteur en ondes » comme existe, au théâtre, un « metteur en scène ».

Ces concerts étaient retransmis en direct et comportaient des œuvres de musique contemporaine : Pierre Boulez, Pierre Schaeffer, Henri Dutilleux, Krzisztof Penderecki, Olivier Messiaen, Gyôrgy Ligeti…

Malgré toute ma bonne volonté, je restais hermétique à ces musiques. À ces concerts déconcertants, je préférais les enregistrements des trois dernières bandes magnétiques. C’était du piano. Des pièces d’Oscar Lefleix enregistrées en direct. Par le compositeur lui-même qui était en l’occurrence son propre ingénieur du son.

Des morceaux inachevés, inaboutis. Des phrases parfois isolées. Des thèmes jetés en vrac… Des brouillons.

Mais ces enregistrements étaient mille fois plus précieux que les précédents, parce que mon père se trouvait au piano.

Pierre, qui avait étudié les partitions, m’expliqua pourquoi ces morceaux n’étaient pas achevés :

— Ton père improvisait avant de noter sa musique. Il enregistrait ses essais, il les réécoutait et retenait le meilleur pour le retranscrire définitivement.

Hélas, aucun des trois enregistrements ne comportait une œuvre intégrale. C’étaient trois ébauches de sonates différentes. La mort avait interrompu la tâche du musicien. Les œuvres achevées, elles, se trouvaient proprement notées sur les partitions. Mais mon père n’avait pas jugé utile d’en enregistrer une seule. Il lui suffisait de savoir qu’elles étaient fixées sur le papier.

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