Malamorte by Antoine Albertini

Auteur:Antoine Albertini [Albertini, Antoine]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Policier
Éditeur: JC Lattès
Publié: 2019-05-03T00:00:00+00:00

Je me présentai au guichet des urgences en plaquant ma plaque sur la vitre et l’infirmière appela l’interne de garde qui, après quelques tergiversations, se laissa convaincre de m’accompagner jusqu’au box où Mustapha avait été installé.

« Il est arrivé hier en début de soirée. Sa compagne a appelé les pompiers. Un traumatisme crânien, la mâchoire et plusieurs côtes fracturées, dit l’interne. Un bras cassé, aussi. Dans son état d’obésité, ça complique tout. »

Mustapha était alité dans un box de la nouvelle aile entièrement rénovée de l’hôpital : portes mauves, lino propre et brillant, lumière légèrement tamisée et loupiottes au ras du sol.

Le box, en revanche, puait la pisse et le médicament. À condition de faire preuve d’imagination, il était parfaitement possible de reconstituer le visage de mon vieil ami. Il suffisait de lisser l’hématome bleuâtre sur la partie inférieure de sa mâchoire, d’effacer les tuméfactions de ses pommettes et ne prêter aucune attention à ses lèvres éclatées ouvertes sur des gencives où brillaient les éclats des rares dents qui lui restaient.

« Je vais vous demander de ne pas vous attarder, fit le médecin dans mon dos.

— Laissez-lui un peu plus de temps, répondit une voix inconnue. Après tout, c’est grâce à lui qu’il se retrouve ici. »

Une silhouette élancée avait fait son apparition à la porte du box. La blonde portait un blouson en cuir d’une grande marque au col en authentique fourrure de lapin, un pull à col roulé rose en mohair et un jean qu’on aurait dit cousu à même la peau. Il soulignait la forme parfaite de ses longues jambes. Elle mastiquait un chewing-gum, les lèvres closes.

« Vous êtes ? demanda le médecin.

— Sa femme, Columbo. »

Légère pointe d’accent slave.

Je demandai au toubib de nous laisser une minute. Il voulut répondre mais je lui fermai le bec d’un « Merci beaucoup, docteur. C’est une enquête de police ». La main que je tendis à la blonde resta en suspension.

« On ne se connaît pas, je crois.

— La seule chose qui me console, dit-elle sans cesser de mâcher son chewing-gum, c’est que vous aussi avez l’air d’avoir passé un moment dégueulasse. »

Je me touchai le visage, sentis les croûtes des écorchures sous mes doigts.

« Vous savez ce qui s’est passé ? »

La blonde s’avança dans le box.

« Non, à part que vous lui avez rendu une visite avant-hier. Et nous voilà tous les deux ici. »

Ses yeux s’embuèrent.

« Ils disent qu’il s’en remettra difficilement. Et qu’il ne sera plus comme avant.

— Mustapha va tenir le coup. Il en a vu d’autres.

— C’est tout ce que vous trouvez à dire.

— Est-ce que vous avez une idée des raisons qui…

— À part vous, non ! »

Elle avait élevé la voix, presque crié. Le visage sévère d’une infirmière apparut dans l’encadrement de la porte vitrée. Elle posa un doigt sur ses lèvres puis continua sa route vers les entrailles de l’hôpital.

« Avant-hier, reprit-elle, après votre passage, il devait rejoindre des amis pour sa partie de cartes de la semaine. Il m’a appelée vers neuf heures moins le quart, il réussissait à peine à articuler trois mots.

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