J'ai tout entendu by Dan Gearino

Auteur:Dan Gearino [Gearino, Dan]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 2867464226
Éditeur: Liana Levi

12

Perry Ray Pruitt était aussi doué avec le feu qu’avec l’eau. Lui qui n’était pas parvenu à conduire une seule âme aux fonts baptismaux, s’avérait maintenant incapable de garder une allumette allumée assez longtemps pour embraser la torche de Tolliver, lequel avait décidé que le moment était venu de mettre le feu au bûcher. Allumer un feu peut sembler un jeu d’enfant, surtout si on s’assure du concours d’alcool à brûler et d’une grosse allumette de cuisine à bout soufré. Or ce soir-là, il s’agissait moins d’efficacité que de pure mise en scène. Tolliver savait très bien qu’il serait plus théâtral de brandir une torche que de jeter une allumette sur une flaque d’essence comme un vulgaire organisateur de barbecue de banlieue.

Il avait soigné le décor : une plateforme sur roues ornée de drapeaux avait été amenée près du bûcher. Deux projecteurs, comme ceux qu’on utilise aux premières de cinéma, qu’il s’était procurés Dieu sait où, avaient été placés aux deux extrémités de la pelouse de l’église et pointaient vers le ciel, comme deux doigts de lumière glacée. Une petite estrade, montée à même le trottoir, était réservée à l’équipe de télévision, pour lui permettre d’encadrer tout à la fois Tolliver, le feu, et l’église, sur la façade de laquelle avait été accrochée une banderole avec une citation de l’Évangile selon saint Jean : « Je suis la lumière du monde ; celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais dans la lumière de la vie. »

Tout le monde était là. Personne ne voulait manquer ce qui promettait d’être l’heure de gloire de Barrington. Les autres congrégations avaient annulé leur office du dimanche soir et les commerces avaient fermé plus tôt que d’habitude. Au crépuscule, plusieurs milliers de personnes se pressaient sur la pelouse de l’église. Les adolescents faisaient cercle autour du bûcher, tenant prêts leurs disques, leurs magazines de fans, et autres œuvres du démon qu’ils étaient sur le point d’exorciser, tandis que les adultes, un peu en retrait, s’étaient rassemblés en petits îlots de convivialité ou en noyaux durs de fanatiques au visage fermé. Quelques couvertures avaient été étalées à l’attention des familles souhaitant s’asseoir, et une poignée de chiens se donnaient la chasse au milieu de la foule, pris dans l’énergie collective. Des tourne-disques grinçants diffusaient du gospel depuis la fourgonnette d’une station de radio garée à l’entrée de la rue.

Nous n’étions que deux non-croyants à assister à la cérémonie ce soir-là : nous nous retrouvâmes côte à côte quelques instants avant que ne commence le lynchage de Lennon.

— Même vous, M. Ayers, vous êtes là, me dit Tallasee Tynan, qui était peut-être la seule personne au monde à m’appeler monsieur sans la moindre once de sarcasme. Je lui fis un signe de tête.

— Vous ne m’avez jamais paru une grenouille de bénitier, ajouta-t-elle. Et vous êtes certainement la seule personne en ville qui soit immunisé contre le message diabolique du rock’n’roll.

Tallasee avait une lueur joyeuse, provocatrice, dans les yeux, et tout à coup j’eus l’intuition que quelque chose de terrible allait survenir cette nuit-là.

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