Mon petit by Erika Nadège

Mon petit by Erika Nadège

Auteur:Erika, Nadège [Erika, Nadège]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Livres Agités
Publié: 2023-04-13T07:24:18+00:00


17

Aujourd’hui encore, quand je passe rue de la Mare devant l’immeuble dans lequel nous avons vécu Gustave et moi, avec Sam et Tiago, nos jumeaux, c’est plus fort que moi, je détourne les yeux. Cette rue étroite est comme un trait d’union entre Belleville et Ménilmontant. Face à l’édifice, de trois étages seulement, mais si peu entretenu, à l’image de certains autres immeubles de la rue, ces vies-là se rappellent à moi.

Je nous revois Gustave et moi à la caisse du Casino de la rue de Ménilmontant, le caddie chargé ras la gueule pour notre premier plein. On venait de s’installer, j’avais dix-neuf ans, Gustave guère plus. Ça allait être trop bien. Trop bien d’être libres enfin. Libres d’acheter et d’abuser de sucreries et d’autres conneries. Notre chariot débordait de sodas, de pizzas, de poissons panés, de brioches en sachets individuels, de pâtes, de fromages sous vide, de produits ménagers, de cosmétiques bon marché qui feraient de moi une femme canon, d’un sèche-cheveux, de bières, de rhum, de jus de fruits concentrés, de pistaches, de chips, beaucoup de chips, de crêpes sous cellophane vendues à la douzaine, de pots de Nutella en quantité, de lait, d’oranges et de céréales parce que le petit déjeuner, c’était très important maintenant que nous étions des adultes et que nous allions être parents.

Lorsque l’hôtesse de caisse nous a annoncé la cuenta, il nous manquait 450 francs sur les 1 650 à devoir. « 1 650 balles ? » a balancé Gustave en levant les yeux au ciel. Il a fallu trier, abandonner quelques rêves, déjà. On a commencé par virer le sèche-cheveux, puis le gel douche à la mangue, le lot de tasses aux couleurs d’Esteban, Zia et Tao, les personnages du film d’animation Les Mystérieuses Cités d’or. J’avais tellement honte ! Je me suis mise à sangloter, comme ça, d’un coup, un samedi soir à 18 h 30 à la caisse d’un supermarché. Tout le monde nous regardait.

Gustave m’a prise dans ses bras et m’a chuchoté de ne pas pleurer. Il allait me l’acheter, mon sèche-cheveux, Granny avait dit qu’elle lui enverrait bientôt un petit chèque. À vrai dire, je m’en moquais du sèche-cheveux, mon chagrin était ailleurs. C’était la première fois que je faisais les courses en maîtresse de maison, et je venais d’être refoulée à la frontière de l’abondance. Je repensais à Jeanne et à toutes les fois où elle nous avait emmenés faire les courses, nous regardant charger son caddie sans qu’elle pense jamais à nous restreindre. Je repensais aux dettes, aux huissiers, aux lasagnes surgelées qu’elle avait dû voler un soir à l’Auchan de Bagnolet pour qu’on ait à manger, et à cette phrase que nous entendions si souvent, quand elle n’avait plus de sous : « On verra quand les allocs seront tombées. »

J’étais terrifiée. Je ne voulais pas revivre ça. Guss dédramatisait. Au plus tard mardi, j’aurais mon sèche-cheveux, a-t-il dit pour me consoler. Il m’achèterait même les Timberland que j’avais repérées dans une boutique. Mais là,



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