Journal de la peste by Gonçalo M. Tavares

Journal de la peste by Gonçalo M. Tavares

Auteur:Gonçalo M. Tavares [Tavares, Gonçalo M.]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


4 mai 2020

Il est très étrange qu’une machine ait l’air triste

« N’entendez-vous pas alentour ces cris effroyables que, communément, l’on appelle le silence ? » Le début d’un film de Herzog.

Il paraît que « le secteur de l’aviation vit les heures les plus sombres de son histoire » et que 16 100 avions sont immobilisés.

L’image d’avions immobilisés depuis des semaines, vides.

Très souvent entourés d’autres machines qui d’en haut ont l’air tristes.

Il est très étrange qu’une machine ait l’air triste.

Une définition possible : sans personne autour, une machine semble perdre le nord, perdre son sens.

Elle est désorientée, et si elle ne crie pas c’est uniquement parce qu’elle n’a pas été programmée pour ça.

Mais elle fait ce que nous appelons silence.

L’Allemagne prolonge les contrôles aux frontières jusqu’au 15 mai et trois médecins sont tombés de fenêtres d’hôpitaux en Russie.

Peut-être ont-ils été poussés, peut-être se sont-ils poussés eux-mêmes.

Le même jour, nouvelles : le soulagement est pour bientôt, le soulagement pour bientôt est impossible.

Deux fois infectés, c’est impossible. Deux fois infectés, ce n’est peut-être pas impossible.

Fermer ou ouvrir. Ouvrir et ailleurs fermer.

« Des chercheurs israéliens ont développé un anticorps qui attaque et neutralise le nouveau coronavirus » et autres nouvelles.

Récits de l’abandon de quelques vieillards dans des maisons de retraite.

Personne ne leur rend visite et ils restent plantés près de Notre Dame des Fenêtres à attendre qu’une voiture s’approche et s’arrête devant le bâtiment.

Mais les voitures ne s’arrêtent plus.

Le cinéaste Herzog raconte une histoire.

Il a connu en Australie le dernier locuteur d’une langue.

Cet homme émettait des sons qui semblaient difformes, mais c’était une langue.

Comme personne ne le comprenait, on le tenait pour muet.

Il était mis de côté, un solitaire.

Il chantait.

Parfois, il allait tout seul jusqu’à un distributeur automatique de boissons avec plein de pièces dans la poche.

Et il mettait les pièces dans la rainure.

Il aimait ces bruits que fait la pièce tout au long de la machine.

Peut-être ressemblaient-ils pour lui à une musique ou à quelqu’un parlant avec lui.

Le moindre bruit nous parle, si on est attentif. Et solitaire.

Et c’est ça : une pièce tombant dans un distributeur automatique peut faire de la compagnie à un être humain.

Encore le murmure du Jardin de Morya : « Revivifie ta force, et les flèches adverses tomberont. »

Il est évident que ce n’est pas la flèche qui a ou non de la force.

Ni même l’arc.

C’est le bras qui tient l’arc.

Qui dépend du bras et de la main qui tiennent la flèche.

Nombre de flèches sans force sont en train de tomber.

« N’entendez-vous pas alentour ces cris effroyables que, communément, l’on appelle le silence ? » Le début d’un film de Herzog.

Davantage de bruits venus de la ville.

Aujourd’hui le temps est mitigé. Quand le ciel se découvre, le citronnier gagne en couleurs.

Ça fait du bien, mais ça ne suffit pas.



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