Mon ombre assassine by Estelle Tharreau

Auteur:Estelle Tharreau [Tharreau, Estelle]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Thriller, Suspense
ISBN: 9782372580519
Éditeur: Taurnada Éditions
Publié: 2019-01-18T05:00:00+00:00

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Autocritique

Contrairement à la première fois, l’attente après ce second meurtre ne fut pas aussi terrible et angoissante. J’étais certaine que personne ne m’avait vue. J’étais également sûre qu’aucune autopsie ne serait pratiquée sur un monstre aux malformations congénitales si nombreuses et si pathogènes.

La version de la mort naturelle arrangerait tout le monde. Ni mon père, soulagé de se libérer de son fardeau, ni l’institution, redoutant une nouvelle négligence, n’iraient chercher d’autres causes au décès de Manon Solignac, âgée de quatorze ans. Morte comme elle avait toujours vécu, dans d’atroces souffrances à l’image de celles qu’elle avait fait subir aux autres.

Pendant que tout le monde s’empressait d’organiser l’enterrement, j’établissais le bilan de ce premier acte réussi. Une victoire facile, sans gloire, mais un brouillon nécessaire, car riche d’enseignements. J’avais réussi l’organisation de ce meurtre, son accomplissement parfait, mais je n’avais pas su gérer l’après. Je n’avais pas su canaliser l’excitation suscitée par la fascination de l’agonie.

Mon erreur de comportement aurait pu me porter un coup fatal en d’autres circonstances, avec une autre victime ou face à des témoins tracassiers. Le regard de l’aide-soignante avait sonné comme un avertissement du destin. Un cadeau qu’il m’offrait. Une leçon à méditer.

Je savais que je ne parviendrais jamais à maîtriser de telles émotions. Maîtrisez-vous un orgasme ou un éclat de rire ? Je devais désormais m’arranger pour être seule avec ma proie au moment de sa mort.

Le cœur léger et l’esprit clair, je pris le bus qui me conduisit au cimetière. Oui, car personne ne pouvait venir me récupérer. Mon frère était trop abattu pour prendre le volant, et mon père avait tant de détails à régler. On ne pouvait tout de même pas m’envoyer un ouvrier comme pour le déménagement. L’image des Solignac serait entachée. Une arrivée en bus était plus discrète.

Néanmoins, on prit grand soin de me placer à côté de mon père qui tenait la main de ses deux enfants offrant ainsi l’image attendue de l’homme brisé, mais aussi de la famille unie et digne face à la fatalité.

Une gerbe monumentale de fleurs blanches portait cette inscription « À notre petite sœur tant aimée ». Ils avaient tout prévu, même de parler en mon nom.

Un long défilé de poignées de main et d’accolades hypocrites. Si le monstre était mort au temps des paillotes, ce cimetière serait resté désert. À l’époque, personne ne serait venu flatter le portefeuille dégarni de Grégoire Solignac. Mais aujourd’hui, ce décès était devenu un rendez-vous mondain incontournable comme tant d’autres pour l’élite locale. Longue procession en vêtements de haute couture, en bijoux de pierreries et métaux précieux, au milieu de laquelle je ressemblais à un sac, comme me le fit remarquer Solignac. Puis il m’entraîna à part pour me rassurer :

« Ce n’est pas grave si tu ne peux pas venir au cocktail servi aux Ateliers. On t’excusera. Ne rate pas ton bus, car personne ne pourra te ramener ce soir. Nous ne sommes pas en état. »

Il était pourtant en parfaite possession de ses moyens pour rester en plein soleil à dispenser son bla-bla à chaque invité.

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