Un oeil dans la nuit by Bernard Minier

Un oeil dans la nuit by Bernard Minier

Auteur:Bernard Minier [Minier, Bernard]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782374484983
Éditeur: XO
Publié: 2023-04-05T22:00:00+00:00


SAMEDI 25 JUIN

41

— ON VA À LA PISCINE aujourd’hui ?

Servaz regarda son fils.

— Peut-être demain. Qu’est-ce que t’en dis ?

Assis à la table du petit déjeuner, Gustav le fixait comme s’il passait son père au détecteur de mensonges.

— Pourquoi pas aujourd’hui ? C’est samedi.

Servaz sentit venir un de ces échanges dont Gustav avait le secret quand il était en mode combatif. Ça faisait un moment que son fils ne lui passait plus grand-chose.

— Je peux peut-être demander à Anastasia de t’emmener, dit-il.

— Je veux pas y aller avec elle, déclara Gustav d’un air contrarié. Je veux y aller avec toi.

— Je croyais que tu l’aimais bien.

— C’est pas ça, je veux que tu viennes avec nous.

— J’aimerais beaucoup, tu le sais. Mais aujourd’hui je peux pas. Je dois travailler, j’ai quelque chose d’important à faire.

— C’est toujours plus important que moi, lâcha Gustav d’un ton de plus en plus maussade. Flavien m’a dit l’autre jour que son père trouvait toujours du temps pour eux. Et lui aussi c’est un keuf.

— Policier, rectifia Servaz. Vincent et moi, c’est pas pareil. Je suis le chef. Je dois être présent, tu comprends ?

— Et quand son père n’est pas là, poursuivit Gustav sans paraître avoir entendu, Charlène les emmène au centre commercial ou ils vont voir leurs grands-parents à la campagne…

— Tu peux aller avec eux si tu veux, suggéra Servaz en désespoir de cause. Charlène t’aime beaucoup, tu sais. Flavien aussi.

— Je veux Léa ! Elle est où ? s’emporta soudain son garçon.

Servaz se raidit. Ce n’était pas la première attaque du genre. Gustav pouvait user de son charme pour obtenir ce qu’il voulait et, dans ces cas-là, déployer un entrain communicatif et multiplier les sourires, mais quand il ne parvenait pas à ses fins il pouvait aussi devenir vite odieux. Martin ne savait pas toujours comment s’y prendre avec lui. À la différence de Léa. Léa qui trouvait chaque fois le bon mot, le bon dosage, entre cajoleries et autorité. Il se demanda si c’était la vraie personnalité de Gustav qui était en train d’émerger – ce côté manipulateur, cette duplicité – et il pensa en frémissant à celui qui l’avait élevé avant lui, à l’homme qui lui avait révélé l’existence et la maladie de son fils, et qui le lui avait confié1. Un individu qui avait kidnappé la femme qu’il aimait – la mère de Gustav –, qui l’avait quasiment détruite, puis qui s’était glissé dans l’existence de Servaz telle une ombre, à un moment où il était particulièrement vulnérable. Et qui l’avait changée à tout jamais. Un marionnettiste, un angle mort, une présence invisible, silencieuse, mais jamais très loin : l’ancien procureur près le tribunal de Genève Julian Hirtmann – peut-être le tueur en série le plus retors que Servaz ait eu à traquer. En tout cas le seul dont il se fût senti proche à un moment donné2. Aujourd’hui détenu dans le complexe pénitentiaire de Leoben, en Autriche.

— Ça suffit ! dit-il en élevant la voix.

Gustav se leva brusquement de table en repoussant son assiette et disparut.



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