Les discours et nouveaux discours du docteur O'Grady by André Maurois

Auteur:André Maurois
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782246856436
Éditeur: Grasset
Publié: 1922-04-15T00:00:00+00:00

IV

PSYCHOPOLITIQUE

Le fanatisme consiste à redoubler nos efforts

quand nous avons oublié nos buts.

SANTAYANA.

— La psychopolitique, dit le docteur O’Grady…

— Docteur, dit Aurelle, cessez, je vous en conjure, de créer à chacune de vos visites des vocables pompeux et superflus. On peut tout dire avec les mots de tous.

— Je ne crée aucun mot, dit le docteur. J’ai trouvé celui-ci dans un curieux livre sur Talleyrand que vient de publier un de mes confrères français, le Dr Laforgue. J’ai toujours eu beaucoup de goût pour votre Talleyrand. Ce fut une des rares intelligences adultes d’un temps glorieux, mais peuplé d’âmes infantiles. J’aime ses recettes de vie : « Pas de zèle. – Méfiez-vous du premier mouvement : c’est le bon. – Il ne faut jamais se fâcher contre les choses, car cela ne leur fait rien du tout. » Et ses épigrammes : « Tout ce qui est exagéré est insignifiant. – On n’est pas digne de plaire à ses amis lorsqu’on ne s’expose jamais à leur déplaire. » Oui, c’était un homme, votre Talleyrand, et je lui tire mon chapeau.

— Notre Napoléon aussi était un homme, docteur, et qui eut l’humanité d’aimer Talleyrand, tandis que Talleyrand avait la faiblesse de trahir Napoléon.

— Ce n’était nullement de la faiblesse. Talleyrand a sacrifié Napoléon pour sauver la France. Et il l’a sauvée. Ne soyez pas ingrat, Aurelle ! Si vous aviez eu la patience de m’écouter parler de la psychopolitique, au lieu de m’interrompre brutalement, et, si je puis le dire, my boy, impoliment, je vous aurais appris comment cette science permet d’apprécier le rôle des deux hommes.

— Soit, docteur ! Je vois que je n’échapperai pas à un discours sur la psychopolitique. Allez-y…

— La psychopolitique, dit le docteur, serait une psychanalyse à l’échelle des nations. Elle étudierait les névroses collectives… Mais, pour me faire comprendre d’un profane tel que vous, il me faut revenir d’abord à des notions élémentaires. Vous admettez que tous les hommes sont divisés contre eux-mêmes ?

— Je fais plus que l’admettre, docteur ; je le sens.

— Ils sont divisés contre eux-mêmes, étant sollicités par leurs instincts égoïstes : désir de s’attribuer la nourriture, les femmes, de voler ce qui leur plaît et de tuer ceux qui les gênent ; et par l’instinct de la horde, né de la tradition et de l’éducation, instinct social qui leur inspire le respect de certaines règles et la crainte des sanctions. Dès l’enfance, nous sommes ainsi tiraillés entre le désir et la morale, mais la plupart d’entre nous arrivent, tôt ou tard, à un compromis entre leur conscience (que nous appelons, nous, médecins modernes, superego, ou surmoi, ou moi social) et leur moi individuel. Nous nous refusons, par moralité, certaines joies ; nous violons, par désir et passion, certaines règles sociales ; et ainsi nous nous traînons tant bien que mal, mécontents de nous-mêmes, de la nursery au tombeau. Mais certains hommes, soit à cause d’un choc moral subi dans l’enfance, soit parce que les événements de leur vie s’arrangent trop mal, arrivent moins encore que les autres à résoudre leurs conflits, et vont jusqu’à la névrose.

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