La Fin d'un monde by Green

Auteur:Green
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Fayard

***

Cependant, la nervosité devenait plus aiguë parmi les personnes qui de loin ou de près touchaient au gouvernement, et cette nervosité gagnait la rue. A la demande d'armistice, les Allemands ne répondirent pas tout de suite, ou plutôt ne répondaient qu'en occupant le plus de terrain possible. Leur intention de pousser une pointe jusqu'à Bordeaux apparaissait de plus en plus clairement, et on s'étonnait qu'ils ne fussent pas déjà dans les faubourgs de la ville.

Depuis quelques jours, les voitures qui roulaient vers la frontière espagnole devenaient si nombreuses et les encombrements si sérieux que les autorités jugèrent bon de prendre des mesures : à partir du dix-neuf, il serait interdit de circuler en Gironde sans un permis spécial délivré par le préfet. Immédiatement, je me rendis chez Dubois ; il me promit de me donner ce fameux permis le soir même à six heures. Je n'eus garde d'être en retard à ce rendez-vous, mais Dubois n'avait pas eu l'occasion, me dit-il, de s'occuper de ce permis pour Robert et malheureusement il était trop tard pour en obtenir un ce jour-là. Il m'apprit aussi que le gouvernement allait quitter Bordeaux le lendemain pour une destination encore inconnue, mais qu'on murmurait être Alger.

De retour à l'hôtel, je demandai à Robert d'aller à son tour tenter l'impossible pour obtenir ce papier indispensable le soir même, car le soupçon m'était venu, de plus en plus clair tout d'un coup, que Dubois essayait de nous retenir quelques jours de plus en France. Pourquoi ? Je n'en sais rien, mais les êtres ne sont pas d'une pièce. Croyait-il vraiment que les formalités réduites permettraient à tout le monde de s'en aller librement dans quelques jours ? C'était une idée à laquelle il revenait avec insistance. L'événement prouvera à quel point il se trompait. Robert et moi, nous flairâmes le danger qu'il y avait à l'écouter, car des files de voitures chargées de bagages bloquaient sur des kilomètres toutes les routes sortant de Bordeaux vers le sud.

Vers huit heures ce soir-là, Robert eut le permis et un ordre de mission de quelques jours pour l'Espagne. L'application du décret gouvernemental ne devant commencer que le dix-neuf à partir de minuit, comme nous étions au début de la soirée du dix-huit, certes il nous eût été possible, en partant la nuit même, de sortir du département sans permis, à condition cependant d'être sûrs de pouvoir atteindre les limites de la Gironde avant minuit le lendemain ; mais les routes n'avaient jamais connu un tel afflux de voitures qui rendait tout passage impossible et nous jugeâmes préférable de partir permis en poche. L'encombrement pouvait nous retenir au-delà de l'heure fatidique, des barrages militaires avaient été installés à la limite des Landes et ralentissaient encore toute circulation en attendant d'arrêter les voitures et de les refouler purement et simplement.

Le fait que Robert avait obtenu ce permis, qu'à la préfecture on m'avait refusé tout d'abord sous prétexte qu'il était trop tard, me confirma dans l'opinion qu'on essayait maladroitement de nous retenir ;

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