Des cornichons au chocolat (Romans contemporains) (French Edition) by Philippe Labro

Auteur:Philippe Labro [Labro, Philippe]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: JC Lattès
Publié: 2007-01-23T23:00:00+00:00

20

Non seulement je sais pas ce que j'ai, mais je sais pas ce que je suis.

Aux toilettes, je me suis levée du siège et je me suis collée debout le nez contre la glace et j'ai décidé que je me regarderais jusqu'à ce que je sache ce que je suis.

Je me suis posé des questions. Je me suis fait une Liste.

Est-ce que je suis une femme ? Non.

Est-ce que je suis une fille ? Non.

Est-ce que je suis un garçon ? Non.

Est-ce que je suis un enfant ? Non.

J'ai regardé mes yeux avec mes yeux. C'est-à-dire que j'ai d'abord regardé rien que la petite bille noire qu'il y a à l'intérieur de la bille marron au milieu du blanc de mes yeux et j'ai ensuite essayé d'entrer dans la bille noire elle-même. En se concentrant très très fort, on arrive à entrer dans quelque chose de très très petit, comme j'arrive à entrer dans quelque chose de très très grand, c'est-à-dire le ciel. Mais il a fallu que je me concentre beaucoup plus que d'habitude, et quand j'ai réussi à mettre mes yeux dans le noir de la bille noire de mes yeux, j'ai eu la tête qui m'a tourné et je suis tombée à la renverse sur la moquette des toilettes, ça a dû faire un bruit boum parce que j'ai entendu Garfunkel qui farfouillait de l'autre côté de la porte en se frottant pour être sûr que j'allais bien. Alors je lui ai dit :

« T'inquiète pas Garfunkel, c'est rien, c'est moi qui suis tombée. »

Il m'a dit :

« Bon fais pas de bêtises. »

J'ai pas fait attention à un Super Événement Considérable, c'est que le chat m'avait répondu – sans doute parce que j'étais trop sonnée par ma chute, ça faisait glang glang glang dans ma tête, j'étais tombée toute raide d'un seul coup en arrière, les voisins du dessous ils ont dû croire qu'on démarrait la guerre mondiale thermonucléaire, celle qui va tout destroy.

Je me suis relevée et je ne savais toujours pas ce que je suis, alors j'ai encore voulu me regarder mais j'ai changé de tactique.

J'ai décidé que je m'étais mise trop près de la glace et qu'il fallait que je recule mieux cette fois pour avoir une vue d'ensemble du Désastre National que je suis en ce moment.

J'ai d'abord commencé par mes pieds qui ont l'air de deux grandes fourchettes à salade et j'ai remonté par les jambes qui sont longues comme les baguettes du boulanger, celles qu'on appelle des flûtes, ensuite j'ai regardé mon zizi avec ses poils et je me suis demandé à quoi ça me servait vraiment à part faire pipi, et j'ai regardé mon ventre qui est tout plat mais il y a du caoutchouc dedans je le sais, et ma poitrine qui est comme deux espèces de figues toutes mollasses avec le bout qui se relève, j'aime pas du tout ma poitrine, il faut bien le reconnaître, je ne sais jamais quel genre de soutien-gorge il faudrait que

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