Un invincible été by Catherine BARDON

Auteur:Catherine BARDON [BARDON, Catherine]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Romans francophones
Éditeur: Les escales éditions
Publié: 2021-03-12T07:14:37+00:00

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Markus replia son Times vieux d’une semaine. L’article commentait la création et les travaux de la Kommission für Provenienzforschung qui devait se consacrer spécifiquement aux œuvres d’art que les musées s’étaient appropriées pendant et après la guerre.

— Il n’y a que toi qui sois directement concernée, conclut-il en se tournant vers Almah, une forme d’interrogation pointant dans sa remarque.

— C’étaient mes parents qui étaient propriétaires des tableaux, laissa tomber Almah qui avait lu l’article avant lui. Et encore faudrait-il savoir où ils se trouvent exactement. Et pour cela retourner à Vienne et peut-être aussi en Allemagne, une idée sur laquelle j’ai fait une croix depuis bien longtemps.

Arc-boutée sur sa position, Almah ne semblait pas manifester grand intérêt à l’affaire et cela n’étonnait guère Markus.

— On encourage les ayants droit à se faire connaître, cela s’adresse donc non seulement à toi, mais aussi à tes enfants. Ils parlent de mesures de dédommagement justes et équitables.

Almah leva les yeux au ciel.

— Dédommagement, vraiment ! Équitable de surcroît ! Quelle blague ! Nous en avons déjà parlé et tu connais mon avis sur le sujet.

— Et tes enfants, qu’est-ce qu’ils en pensent ? Tu leur as posé la question ?

— Comme tu l’as justement fait remarquer il y a moins de dix secondes, il n’y a que moi qui sois directement concernée. Ça ne regarde pas les enfants. Frederick et Ruth ont bien d’autres chats à fouetter. La décision me revient à moi seule, et je l’ai prise, au cas où il faudrait mettre les points sur les i.

— C’est leur héritage, Almah. Et tu sais que ça représente sans aucun doute beaucoup d’argent.

— Ils n’en ont pas besoin. Et nous non plus, Dieu merci. Franchement Markus, est-ce qu’il nous manque quelque chose ?

Almah plissa les yeux en regardant son vieil ami. Elle avait ce sourire espiègle qui creusait encore cette fossette d’enfance dans le parchemin de sa joue, ces yeux bleus qui frisaient, et un court instant il vit ressurgir la jeune femme d’autrefois sous la chevelure blanche et les rides. Il se crut pourtant obligé d’insister.

— Wil m’avait confié que la collection de tes parents était imposante, pour ne pas dire impressionnante. Cela représente…

Markus s’interrompit devant l’air buté d’Almah. Ce que cela représentait, elle le savait pertinemment. Il lui suffisait pour s’en convaincre de faire quelques pas dans l’enfilade des salons de la villa de Hietzing, dans le bureau de son père, dans la chambre de ses parents, aux murs tapissés des œuvres que Julius achetait à ses amis peintres.

— C’est une forme de… justice, Almah.

— Nous en avons déjà discuté maintes et maintes fois avec Heinrich, paix à son âme. Je n’ai pas besoin de justice. J’ai eu ma revanche, c’est le bonheur que j’ai trouvé ici et partagé pendant trente ans avec Wil, celui de te connaître, de retrouver Heinrich, celui de voir naître mes petits-enfants, la paix dans laquelle nous vivons… La justice n’est qu’une forme endimanchée de la vengeance1. Cela dit, ça ne manquerait certes pas de piquant de jouer les Sherlock Holmes dans les musées autrichiens ! Mais je n’en ai aucune envie.

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