N'écoute pas Maman pleurer by Léna Beymond

N'écoute pas Maman pleurer by Léna Beymond

Auteur:Léna Beymond [Beymond, Léna]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Chambre Noire
Publié: 2023-02-23T23:00:00+00:00


INSTANTANÉ

7 OCTOBRE 1985

Assise sur son lit, Margaret observait un passereau voletant sur les branches d’un pin rouge sous de lourds nuages grisâtres. La scène ne dura pas plus d’une minute ; l’oiseau s’envola et disparut de son champ de vision. Elle se surprit à envier le volatile : il pouvait planer où bon lui semblait. Elle ne disposait pas d’un tel luxe. Sa liberté à elle était de choisir entre un poulet rôti ou une pièce de bœuf saignante.

Depuis plusieurs mois, une femme originaire du Canada venait deux fois par semaine faire le ménage et le repassage. Parfois, elle préparait des pancakes dont les enfants raffolaient. Margaret aurait dû se sentir moins fatiguée. Au contraire, une lassitude continue la terrassait avec la sensation de dévier vers un gouffre qui l’engloutirait.

Objectivement, Margaret ne pouvait pas se plaindre : John était un mari attentionné et un père affectueux qui subvenait largement à leurs besoins ; leurs enfants étaient en bonne santé et avaient des résultats satisfaisants à l’école. Mais ça ne lui suffisait pas. Elle aurait pu partir un matin après le départ de John et des enfants. Elle aurait eu plusieurs heures devant elle pour disparaître, choisir enfin sa vie. Mais quitter son carcan de femme au foyer aurait nécessité du courage, un courage qu’elle n’avait pas.

Les cris des enfants perçaient les murs. John ne rentrerait pas avant trois bonnes heures. Elle attrapa la boîte de somnifères sur la table de chevet. Sans qu’elle y prît garde, plusieurs pilules se répandirent dans sa main. Sa présence était-elle absolument indispensable à John et aux enfants ? Elle faisait à présent si peu de choses dans la maison. Il pourrait compter sur la bonne. Elle viendrait plus souvent s’il la rétribuait davantage. Encore jeune et séduisant, il se remarierait. Elle n’avait qu’un geste à faire. Avaler une poignée de comprimés avec un grand verre d’eau. On conclurait à un surdosage accidentel. De sa main gauche, elle remplit son verre. Une larme coula sur sa joue. De son autre main, elle porta à ses lèvres les minuscules comprimés blancs.

— Maman, pourquoi tu pleures ?

Margaret cacha sa main droite derrière son dos en laissant échapper des comprimés dans son lit. Face aux yeux sombres de son fils qui l’observaient depuis le seuil de la porte, elle se força à sourire :

— N’écoute pas maman pleurer.



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