Le fils du Titien by Alfred de Musset

Le fils du Titien by Alfred de Musset

Auteur:Alfred de Musset [Musset, Alfred de]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature française, Roman, 19e
Éditeur: JLR
Publié: 2021-06-09T00:00:00+00:00


VI

Quinze jours s’étaient écoulés, et Béatrice n’avait pas encore parlé du projet qu’elle avait conçu. A dire vrai, elle l’avait un peu oublié elle-même. Les premiers jours d’une liaison amoureuse ressemblent aux excursions des Espagnols, lors de la découverte du Nouveau-Monde. En s’embarquant, ils promettaient à leur gouvernement de suivre des instructions précises, de rapporter des plans, et de civiliser l’Amérique ; mais, à peine arrivés, l’aspect d’un ciel inconnu, une forêt vierge, une mine d’or ou d’argent, leur faisaient perdre la mémoire. Pour courir après la nouveauté, ils oubliaient leurs promesses et l’Europe entière, mais il leur arrivait de découvrir un trésor ; ainsi font quelquefois les amants.

Un autre motif excusait encore Béatrice. Pendant ces quinze jours, Pippo n’avait pas joué, et n’était pas allé une seule fois chez la comtesse Orsini. C’était un commencement de sagesse ; Béatrice, du moins, en jugeait ainsi, et je ne sais si elle avait tort ou raison. Pippo passait une moitié du jour près de sa maîtresse, et l’autre moitié à regarder la mer, en buvant du vin de Samos, dans un cabaret du Lido. Ses amis ne le voyaient plus ; il avait rompu toutes ses habitudes, et ne s’inquiétait ni du temps, ni de l’heure, ni de ses actions ; il s’enivrait, en un mot, du profond oubli de toutes choses que les premiers baisers d’une belle femme laissent toujours après eux ; et peut-on dire d’un homme, en pareil cas, s’il est sage ou fou ?

Pour me servir d’un mot qui dit tout, Pippo et Béatrice étaient faits l’un pour l’autre. Ils s’en étaient aperçus dès le premier jour, mais encore fallait-il le temps de s’en convaincre, et, pour cela, ce n’était pas trop d’un mois. Un mois se passa donc sans qu’il fût question de peinture. En revanche, il était beaucoup question d’amour, de musique sur l’eau, et de promenades hors de la ville. Les grandes dames aiment quelquefois mieux une secrète partie de plaisir dans une auberge des faubourgs, qu’un petit souper dans un boudoir. Béatrice était de cet avis, et elle préférait aux dîners mêmes du doge un poisson frais mangé en tête à tête avec Pippo sous les tonnelles de la Quintavalle. Après le repas, ils montaient en gondole, et s’en allaient voguer autour de l’île des Arméniens ; c’est là, entre la ville et le Lido, entre le ciel et la mer, que je conseille au lecteur d’aller, par un beau clair de lune, faire l’amour à la vénitienne.

Au bout d’un mois, un jour que Béatrice était venue secrètement chez Pippo, elle le trouva plus joyeux que de coutume. Lorsqu’elle entra, il venait de déjeuner, et se promenait en chantant ; le soleil éclairait sa chambre et faisait reluire sur sa table une écuelle d’argent pleine de sequins. Il avait joué la veille, et gagné quinze cents piastres à ser Vespasiano. De cette somme, il avait acheté un éventail chinois, des gants parfumés et une chaîne d’or faite à Venise, et admirablement travaillée ;



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