La chance du perdant by Guillaumot Christophe

Auteur:Guillaumot, Christophe [Guillaumot, Christophe]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Liana Lévi
Publié: 2017-11-14T23:00:00+00:00

28

– Où est-elle ?

– Là.

– Perdu.

– Mais…

– Tu veux rejouer ?

Jules Letocart manipule le jeu de cartes. Il forme des petits tas, les mélange, les passe au-dessus, en dessous, sous l’œil attentif de Serge Nicolo. Le stagiaire coupe en deux le paquet et exhibe la dernière carte : dame de pique.

– C’est dingue. Comment fais-tu ?

– La chance, plaisante le magicien.

Il remet la carte au milieu de cinq autres, demande à Serge de bien la suivre, accélère ses tours de passe-passe puis étale sur la table les cartes, face cachée. Serge Nicolo se gratte le crâne, il parierait sur la dernière à sa droite mais il se méfie. Cela paraît trop facile. Il choisit l’extrémité contraire en comptant sur la chance. Jules fait grise mine comme s’il était vaincu et retourne la carte délicatement.

– 7 de cœur, perdu.

Serge se précipite sur les quatre autres cartes, il veut comprendre, décortiquer l’arnaque. Mais aucune ne se révèle être la bonne.

Jules sourit et désigne la poche de la veste du retraité. Nicolo fouille et en ressort une dame de pique.

– C’est incroyable, tu as un don.

Renato débarque les bras chargés de pizzas et tenant avec l’auriculaire le goulot d’une bouteille de rosé.

– Je vois que vous avez fait connaissance.

L’ancien hoche la tête tandis que l’adjoint de sécurité ramasse son jeu pour laisser place au repas. Un fumet de pâte à pain tout juste sortie du four embaume la pièce. Les policiers s’attablent. Les parts de pizza s’envolent. Le fromage fondu coule sur les procédures, le vin tache quelques pages de dossiers. Dehors, la nuit tombe à travers les deux fenêtres salies par une pollution persistante.

Rapidement.

Sûrement.

L’immeuble d’en face s’embrase sous les lumières orangées des lampadaires. Dans les appartements, chacun a rejoint sa famille, son chez-soi. Les dîners sont servis. Une vie après le boulot. Renato s’interroge. Serait-il capable d’être monsieur Tout-le-monde et enfiler des pantoufles pour s’affaler devant une télévision ? Son imagination l’invite dans un foyer, avec Avril pour compagne et des enfants se chamaillant entre leurs jambes. Assumerait-il cette charge ? Ne plus vivre au gré des enquêtes. Suivre un train-train quotidien.

Le gardien de la paix plie en deux une part de pizza au pepperoni et l’enfonce dans la bouche comme un avaleur de sabre. Serge Nicolo reste interloqué devant ce nouveau tour de passe-passe. À chacun sa magie pour faire disparaître les choses. Le retraité se ressert un verre de rosé avant d’annoncer la couleur.

– On a bien bossé avec le p’tit, dit-il en gratifiant Jules d’un pouce levé.

– Je n’en doutais pas.

– Les résultats vont au-delà de nos espérances.

Serge se lève de sa chaise et rapporte de son bureau un grand cahier à carreaux. L’écriture est soignée, fine, légèrement inclinée vers la gauche.

– Soyons précis, commence-t-il en se redressant sur son siège.

Renato poursuit l’extermination des pizzas, une part aux quatre fromages plaquée contre une aux crevettes ananas, façon sandwich.

– Ce matin, j’ai recensé vingt-quatre potentielles victimes dont neuf suicides et quinze disparitions inquiétantes, déclare l’ancien en réajustant ses lunettes sur le nez.

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