Kane - L'Intégrale 1 (Tomes 1 et 2) (Kane. L'intégrale) (French Edition) by Karl Edward Wagner

Auteur:Karl Edward Wagner
La langue: fra
Format: azw3
ISBN: 9782072475689
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2014-05-26T23:00:00+00:00

24

Le dernier masque tombe

Le visage de Gerweine avait vieilli de dix ans, au cours de la nuit. À l’aube, les survivants épuisés par la bataille avaient pansé de leur mieux leurs blessures, puis s’étaient écroulés sur le sol de la forêt, totalement harassés. Au fur et à mesure que leurs forces revenaient, ils avaient fouillé le champ des combats, encore trop fourbus pour enterrer les morts non recensés. Des créatures d’ombre, ne demeurait nulle trace, mais la terre était lourde des corps des hommes et des Rillytis. À la suite de cette bataille serait élevée une rangée de cairns aussi longue que les pics rocailleux de la Queue du Serpent.

Le chaos du campement fut ramené à un semblant d’ordre, mais les tentes qui se dressaient désormais sous la grinçante bannière de victoire étaient bien moins nombreuses. On posta des gardes, on débattit vaguement de stratégie — bien qu’avec le soleil matinal au-dessus d’eux, les hommes n’eussent envie que de respirer avec reconnaissance et de lécher leurs blessures.

Messire Dribeck, hâve, ses blessures soignées, était assis devant son pavillon, perdu dans ses pensées. Térès dormait d’un sommeil agité sur une paillasse, à l’intérieur. Sa cuisse fermement pansée, Asbraln se reposait au soleil — Dribeck avait ordonné qu’on évacuât le chambellan du champ de bataille après une profonde blessure à la cuisse qui l’avait incapacité. Crempra, qui s’était foulé la cheville en tombant d’un arbre, était couché à ses côtés, lézardant dans la douceur de la victoire, sans souci apparent du lendemain.

C’est là que Gerweine vint le trouver. Qu’elle se sentît obligée de venir à la rencontre de Dribeck montrait combien sa visite était grave. Il s’était hâté d’aller féliciter la grande prêtresse pour la victoire de sa sorcellerie sur la horde d’ombre de Pierre-de-sang, et avait appris que Gerweine était prostrée, épuisée, à la suite de ses incantations. Laissant un message de gratitude, Dribeck avait eu l’intention de revenir dans le camp du Temple après l’heure de midi pour y discuter son projet de siège d’Arellarti.

Le fier visage de Gerweine avait les traits tirés par la tension : dans ses yeux magnifiques brillait quelque chose qui aurait pu être de la peur. Sa froideur, son dédain, semblaient brisés par un souci d’importance capitale, et elle balaya d’un geste le discours de remerciements de Dribeck — elle qui, autrefois, aurait donné son âme pour un pareil moment. C’était peut-être bien ce qui s’était passé.

« Je dois vous parler, annonça-t‐elle d’une voix étrange.

— Certainement, lui répondit Dribeck. Sous ma tente, en ce cas. Voici tout ce qui reste de mes conseillers, aussi pouvons-nous tout autant réunir un conseil officiel. Nous avons besoin de réfléchir à notre prochain mouvement contre Kane, maintenant que votre magie a brisé sa puissance. »

Gerweine pinça les lèvres en une ligne serrée, entra sous le pavillon et se laissa choir sur un siège. Les autres la suivirent à l’intérieur. Émergeant en sursaut de sa stupeur, Térès avait déjà à demi tiré son épée avant que sa conscience ne revînt ; embarrassée, elle se redressa sur son séant.

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