Images de la fin du monde by Christophe Siébert

Auteur:Christophe Siébert [Siébert Christophe]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Au diable vauvert
Publié: 2020-03-15T00:00:00+00:00

2

Marko et Pavlo ont servi de la vodka et du thé en quantité. Nous avons discuté toute la nuit.

Confrontés depuis toujours au mensonge des adultes, à leur mauvaise foi, leur aveuglement et leur imbécillité, à l’hypocrisie motivée par des buts plus ou moins inavouables ou dégueulasses, le profit ou le contrôle politique, nous n’en pouvions plus. Ce dégoût nous unissait. C’est grâce à lui que nous nous étions rencontrés. D’une certaine façon nous le chérissions comme notre principal atout, notre arme secrète.

Tous les trois avaient comme moi connu la rue, les violences policières, les nuits au commissariat, les agressions commises par des gangs ou des skinhedi, les violences à l’école et à la maison. Comme moi ils se méfiaient de la politique, des professeurs, des parents, des kopi, des juges, des journalistes. Nous ne faisions confiance à aucun adulte. Ils nous avaient volé le monde, l’avenir, toute notre vie. Ouvrir ce lieu et organiser des concerts était pour eux une tentative parmi d’autres de simplement se réapproprier ce putain de monde confisqué par les stariki.

— On a aussi tourné des courts-métrages, a dit Marko. Et puis des trucs plus longs.

— Quel genre ?

— Des fictions violentes. Des pornos. Des documentaires. Un peu de tout. Je peux te les montrer, si tu veux. Ce sont des travaux collectifs.

— Avec plaisir, oui.

— Tu connais Yvan Bura ? Il nous a pas mal inspirés à un moment.

— J’ai vu quelques films mais je n’ai pas vraiment suivi son histoire. J’avais l’impression que c’était de l’histoire ancienne, un peu comme ce que fait Nikolaï le Svatoj.

— Tu peux pas comparer, voyons !

— Non, non, je ne compare pas. Je dis juste que tous ces mecs qui pourraient être nos pères ou nos grands-pères, j’en ai pas grand-chose à foutre. Je préfère que tu me parles de vos films, plutôt que nous nous engueulions sur les mérites et les défauts de tous ces vieux mecs.

— D’accord, d’accord. (Il sourit) L’idée c’était de produire une critique de cette société. D’exprimer ce qui nous déplaît. De choquer, de provoquer des scandales.

— Et ça a marché ?

— Certains de nos films ont été poursuivis. Certains d’entre nous sont allés en prison. Mais nous nous sommes rendu compte au bout d’un moment que ce que nous faisions ne servait à rien.

— On prêchait des convertis, a ajouté Pavlo. Tu comprends ?

— Nous espérions que nos œuvres aient des conséquences sur le monde réel, a repris Marko. Au lieu de ça on nous a remis des prix dans des festivals alternatifs et des fans nous ont acclamés. Ils étaient d’accord avec nous, mais après ? Qu’ont-il fait ? Rien.

— La science-fiction et le roman noir, dans la littérature, se sont heurtés aux mêmes limites, a dit Yuriy.

— On a tourné des films qui expliquent comment fabriquer des bombes, a poursuivi Marko. Des documentaires mettant en scène des hackers livrant toutes leurs techniques. On a réalisé des pornos dans des camps de concentration pour réveiller les gens, on a filmé des

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