Le Royaume de Pierre d'Angle (tome 3) by Pascale Quiviger

Le Royaume de Pierre d'Angle (tome 3) by Pascale Quiviger

Auteur:Pascale Quiviger
La langue: eng
Format: epub
Éditeur: Éditions du Rouergue
Publié: 2020-02-24T13:53:32+00:00


Chapitre 29

La Constante passait en trombes sous le pont, son vacarme remplissait la nuit. De temps en temps, une feuille morte se posait sur l’eau et fuyait avec elle jusqu’à l’estuaire. Appuyés au parapet, Ema et Simon scrutaient de loin la pointe de l’Oubli. Les torches venaient tout juste de s’éteindre. Le duel entre Thibault et Jacquard était terminé. Lequel des deux avait survécu ?

Au loin, un homme s’approchait, déchiré, épuisé, de moins en moins reconnaissable. Quand un rayon de lune frappa la garde de son épée, Ema murmura :

– C’est lui…

– Qui, madame ?

– Thibault.

Elle courut le rejoindre, mais il était dans un tel état qu’elle n’osa pas le toucher. Il avait les vêtements en loques et le visage couvert de sang, il se taisait obstinément et, jusqu’au château, il ne la regarda même pas.

Élisabeth et Guillaume les attendaient à la porte du grand bureau pourpre ; Manfred, Lucas et sa trousse d’urgence les attendaient à l’intérieur. Un seul signe d’Ema suffit pour les renvoyer tous, sauf le médecin. Lucas se mit à déshabiller Thibault en utilisant des pinces là où le sang avait soudé la chemise à sa peau en lui évitant probablement l’hémorragie. Ema lavait les blessures à mesure qu’elles étaient dévoilées. La cicatrice rouverte, l’entaille qui montrait une côte, le morceau d’épaule encore tenu en place par une lisière de peau, la mauvaise coupure au front, l’estocade à la hanche, le grand V sur la cuisse, la brûlure à l’avant-bras. Partout des touches, des pointes, des éraflures : la signature de Jacquard. Thibault grimaçait. Sous l’éponge, ses cheveux passaient graduellement du rouge au blanc. Les vêtements s’accumulaient à ses pieds et, parmi eux, les rubis de la dague semblaient aussi ensanglantés.

– Tu veux t’asseoir ? demanda Ema quand Lucas eut terminé d’appliquer ses onguents et de refaire le bandage au poignet.

Thibault hocha la tête.

– Dis quelque chose.

– J’ai soif.

Il but à même la cruche qu’elle lui tendit, puis se réfugia sur sa chaise d’ébène. Il regardait fixement devant lui, les coudes posés sur le bureau. Quand il parla enfin, il ne s’adressait à personne en particulier, peut-être aux meubles en général.

– Ce n’est pas moi qui l’ai tué.

– Qu’est-ce que tu veux dire ?

– Il s’est jeté au bas de la falaise.

Lucas cessa brusquement de ranger sa trousse.

– Où, sire, exactement ?

– Tout au bout de la pointe. C’est important ?

Lucas s’approcha, affolé.

– Vous avez remarqué quelque chose, sire, au flanc de la falaise ? Un anneau, une corde ?

Thibault ferma les yeux pour mieux se souvenir.

– Non. Il est tombé par terre, il avait sa cape sous lui. J’ai planté mon épée dans la cape, va savoir pourquoi. Il a brisé le fermoir, il s’est laissé tomber.

– Au bout de la pointe, tout au bout, sire ?

– Oui, docteur, s’impatienta Thibault.

– Il s’est laissé tomber de lui-même, mon roi ?

– Je viens de le dire.

Thibault referma les yeux. Il n’avait rien compris à ce dénouement.

– Il riait, ajouta-t-il, perturbé.

– Il n’est pas mort, sire.

Thibault rouvrit les yeux, confus.



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