DERRIERE LA HAINE by ABEL BARBARA

Auteur:ABEL BARBARA [ABEL BARBARA]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Fleuve Noir
Publié: 2012-09-26T22:00:00+00:00

Chapitre 31

Depuis peu, Tiphaine et Sylvain avaient repris leurs occupations professionnelles, au grand soulagement de Laetitia qui avait commencé à s’inquiéter de leur longue apathie. Elle continuait à leur rendre visite, à Tiphaine plus précisément, vu que Sylvain passait beaucoup de temps au cabinet d’architecture afin de rattraper le retard accumulé. Du moins, c’était la raison officielle.

— Il s’abrutit dans le travail, se plaignit Tiphaine alors qu’elles abordaient le sujet autour d’une tasse de café. J’ai l’impression qu’il part de plus en plus tôt le matin et rentre plus tard le soir.

— C’est sa manière de fuir l’absence de Maxime, analysa Laetitia avec douceur.

— Ou peut-être de me fuir, moi.

Laetitia enregistra la remarque. Elle savait que la mort d’un enfant était souvent fatale à un couple, dont chacune des entités incarnait aux yeux de l’autre l’ampleur de leur perte.

— Pourquoi dis-tu cela ? s’enquit-elle, prudente.

Tiphaine haussa les épaules avec désinvolture, comme si le sujet était anodin. Les larmes qui lui montaient aux yeux trahirent tout le contraire.

— Il me tient pour responsable de la mort de Maxime.

Laetitia se mordit la lèvre inférieure. Sans aller jusqu’à lui imputer la mort de Maxime, on ne pouvait nier qu’elle avait fait preuve d’une criminelle imprudence : on ne laisse pas un enfant de 6 ans seul dans une pièce dont la fenêtre est ouverte. Même s’il dort. Le souvenir de Tiphaine lui reprochant d’avoir laissé les garçons sans surveillance dans la chambre de Milo lorsqu’ils s’étaient peinturluré le visage lui revint en mémoire.

Laetitia garda ses réflexions pour elle.

— S’il te considérait réellement comme responsable de la mort de Maxime, il t’aurait déjà quittée, avança-t-elle avec toute l’assurance dont elle se sentait capable. Moi, je crois plutôt que c’est toi qui te sens responsable de… l’accident.

Un éclat de douleur, témoin du calvaire qu’elle endurait depuis plusieurs semaines, traversa la pupille de Tiphaine.

— Bien sûr que je me sens responsable de sa mort ! s’emporta-t-elle d’une voix brisée par un sanglot. Je le suis, non ? J’ai laissé mon petit garçon tout seul dans sa chambre avec la fenêtre ouverte ! Quelle mère digne de ce nom aurait été capable de faire une erreur aussi grossière ?

— C’était un accident ! rétorqua aussitôt Laetitia, bouleversée par l’aveu de son amie. Il dormait, rien ne laissait présager qu’il allait se réveiller juste après ton départ. Tu es une bonne mère, Tiphaine, tu l’as toujours été…

Elle s’interrompit, cherchant d’autres arguments pour l’apaiser un peu.

— J’aurais sans doute fait la même chose que toi, mentit-elle avec un aplomb qu’elle était loin de ressentir.

Les deux femmes se turent, conscientes du terrain glissant sur lequel elles étaient en train de patiner. Laetitia tenta de dévier la conversation en douceur.

— Et toi, au boulot, comment ça se passe ?

— On s’en tape, de mon boulot, rétorqua Tiphaine avec mépris. Ça fait juste passer le temps. Et c’est toujours mieux que de rester seule ici.

Prise de court, Laetitia ne sut que répondre. Elle garda donc le silence et, cette fois, ce fut Tiphaine qui le brisa.

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