Au nom de l'horreur (French Edition) by Louis-Pier Sicard

Auteur:Louis-Pier Sicard [Sicard, Louis-Pier]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Éditions AdA
Publié: 2018-01-15T00:00:00+00:00

CHAPITRE 7

J’entre le premier dans le manoir.

Je me rappelle les bougies éteintes, cette obscurité qui dévore le moindre recoin.

Je me rappelle le corps d’Annie disparu, celui de Thierry encore embroché dans la chambre froide.

Je me rappelle cette pièce sous verrous, où j’ai entrevu la silhouette de notre tourmenteur.

Je me rappelle nos valises volées, nos manteaux dans le foyer.

Je me rappelle qu’il n’y a aucun endroit où nous serons en sécurité.

Nous nous dirigeons vers la bibliothèque que nous avons promptement quittée à la vue de la voiture du propriétaire, espérant un secours qui jamais n’est venu. Éric et moi transportons le corps de Noémie, que nous déposons sur un canapé. Nul besoin d’être médecin pour savoir que son état empire : sa blessure, enroulée d’un tissu gorgé de sang, nécessite des soins que nul ne peut lui prodiguer. Ses paupières sont lourdes, ses yeux, égarés ; la souffrance insidieusement aura raison d’elle. Jade s’approche et, en venant sûrement au même constat effarant, pose sa main sur le front de la victime. Elle m’envoie par la suite de ces regards de connivence qui habitent un secret inavouable à celui qu’il concerne. Derrière nous, le tapage nous indique qu’Éric et Stéphanie en sont à réinstaller les barricades aux portes. Au travers des fenêtres, l’averse de neige gagne en intensité, assombrissant le jour de ses nuages lourds.

— Noémie, je vais seulement enlever le bandage, d’accord ? souhaite la rassurer Jade avant de s’exécuter.

Pour toute réponse, l’étudiante en littérature étire craintivement le cou vers l’arrière en présage de la douleur à venir. Incertaine, Jade déroule doucement le tissu écarlate duquel elle a entouré l’os fracturé saillant de la blessure. Il ne lui faut que quelques secondes d’observation avant de remettre le bandage, arrachant un gémissement de souffrances à la blessée.

— La blessure va s’infecter si nous la laissons ainsi, murmure-t-elle. Si nous voulons épargner une vie, il faut faire quelque chose, et vite !

Je me laisse tomber sur un des coussins. Faire quelque chose… Bien sûr, mais quoi ? En percevant encore le bruit des meubles empilés à chacune des entrées, force m’est de constater que nous sommes en train de créer notre propre tombe. Que nous sert de nous enfermer ainsi ? Que nous sert d’attendre ? Nous n’avons pas d’eau, pas de nourriture (nul n’ose retourner dans les cuisines), ni de moyen de rejoindre qui que ce soit. Tous les téléphones portables sont à sec ; lorsque le soir viendra, nous serons à la merci de l’obscurité et du froid qui s’immisce à l’intérieur. Jade a raison : il faut que nous cessions de jouer les traqués, que nous prenions enfin le rôle de chasseurs. Or, je m’en sens incapable pour l’instant. J’aperçois mon carnet sur le coin d’une table. Combien loin est mon rêve d’écrire une œuvre, maintenant ! Tout ce que je souhaite est de survivre. Cette pensée fait naître en moi une incommensurable tristesse ; quelle misère que celle de l’homme qui a pour seule espérance celle de vivre !

Télécharger

Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.