Zamir by Hakan Günday

Auteur:Hakan Günday [Gunday, Hakan]
La langue: fra
Format: epub
Tags: 2024-01-02T16:45:28.253723-05:00 JF
Éditeur: Gallimard
Publié: 2024-01-04T12:29:23+00:00

9. Obligations islamiques. Le Royaume-Uni a été précurseur en ce domaine.

Les ciseaux et les cheveux

Depuis la rue, on ne voyait pas l’intérieur du Nisa. La vitrine du salon de beauté de l’arrondissement d’Esenyurt, à Istanbul, était en effet recouverte d’images relatives au soin des ongles et à la coiffure. La boutique était vaste et disposait d’un dépôt en sous-sol. Idéal pour un salon de beauté, sauf que ce n’en était pas un. C’était une clinique clandestine gérée par un couple de Syriens et dont les clientes étaient principalement des Syriennes. Elle ne se trouvait pas là par hasard, c’était en effet à Esenyurt que la population syrienne était la plus dense. Et les mariages précoces étaient passablement répandus chez les réfugiés syriens. Or, en Turquie, le fait qu’une jeune fille de moins de dix-huit ans accouche dans un hôpital avait des conséquences légales, dont la prison pour le candidat à la paternité. D’où l’ouverture d’un certain nombre de cliniques clandestines telles que le salon de beauté Nisa, où l’on pratiquait aussi l’avortement de filles ou de femmes qui ne voulaient pas que l’on sache qu’elles étaient tombées enceintes à la suite d’un viol. La plupart des praticiens étaient des sages-femmes non diplômées, ou des gynécologues s’étant vu retirer leur licence. Contrairement aux autres cliniques du même type, le salon de beauté Nisa pratiquait aussi l’hyménoplastie, qui consistait, comme son nom l’indique, à rétablir l’hymen. C’était même principalement pour ce service que l’on y venait, et dans une moindre mesure pour accoucher clandestinement. C’est pour cette raison qu’une femme attendait du matin au soir sur le trottoir d’en face, observant les filles qui en passaient la porte en s’efforçant de comprendre lesquelles entraient pour une hyménoplastie et lesquelles sortaient en y ayant renoncé après qu’on leur eut annoncé le prix. Dans ce dernier cas, elle se mettait aux trousses de ces filles qui marchaient tête baissée et, dès qu’elle en avait l’opportunité, elle les approchait pour leur parler à l’oreille, essayant de leur vendre un hymen artificiel made in China, beaucoup plus abordable qu’une hyménoplastie.

Bref, le salon de beauté Nisa était un commerce qui prospérait grâce aux us et coutumes qui font du monde une geôle pour les femmes. Pour le dire autrement, il devait son chiffre d’affaires à une conception de l’éthique fondée sur la sexualité féminine.

Le petit Zamir qui, par un bel après-midi, y entra dans les bras de Hamza, n’était au courant de rien de tout cela. Enfin, pas encore.

Hamza était un Syrien de la famille du couple de gérants. Sa maison à Hama avait été détruite par les bombes et son bébé de sept mois était resté sous les décombres. Tout s’était passé comme dans ce mensonge que Jenna faisait dire à Jacinta… Après avoir réussi à extraire son bébé d’entre les gravats, Hamza avait couru vers la clinique de la fondation All for All, au centre de la ville. On était intervenu d’urgence sur l’enfant, et on avait dit au père qu’il fallait l’envoyer à Istanbul pour pouvoir faire plus.

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