Washington Black by Esi Edugyan

Auteur:Esi Edugyan [Edugyan, Esi]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9781846689598
Google: EQSODwAAQBAJ
Éditeur: Liana Lévi
Publié: 2019-04-02T22:00:00+00:00

7

Certains jours le vent sifflait dans les champs glacés, la neige tombant obliquement. Monsieur Peter quittait le campement chaque matin et revenait à la tombée de la nuit. Je supposais qu’il allait au poste de traite, mais sans en être tout à fait certain. À l’observer, je me rendais compte que c’était un homme intelligent et sensible, calmement pragmatique. J’avais du mal à comprendre pourquoi il avait choisi de vouer sa vie aux caprices imprévisibles de monsieur Wilde.

Le matin, aussi, le père de Titch travaillait à ses expériences dans le quatrième igloo, un espace qu’il avait décidé de consacrer à l’étude microscopique des différentes variétés de glace. Il parlait longuement des minuscules créatures qu’il trouvait dans les eaux gelées, ou bien nous montrait une boîte soigneusement étiquetée qui contenait des os en vrac, en décrivant le monstre auquel ils avaient appartenu. Un morse, il l’appelait. Il me montra une longue corne hélicoïdale en disant qu’elle provenait d’une belle baleine blanche qui vivait sous la glace.

Un jour, j’étais occupé à dessiner un spécimen. Et bien que j’eusse fait des centaines de croquis jusque-là, je m’étonnai soudain de mes capacités – de ce que je pouvais créer avec ces doigts fins et tremblants, aux ongles toujours soulignés de crasse. L’image semblait moins un dessin qu’une apparition, une vision de la vie du spécimen après la mort, magiquement suggérée par quelques traits d’encre. Comme j’avais progressé au cours de ces longs mois ; comme j’avais grandi, artistiquement autant qu’humainement !

Je sentis une respiration sur ma nuque et vis monsieur Wilde regarder par-dessus mon épaule. Je sursautai, puis me retournai pour faire face à ce petit homme, surpris comme toujours de trouver son visage si près du mien, son souffle à l’odeur de poisson audible dans sa gorge. Il avait les mêmes yeux verts et brillants que Titch, mais les siens étaient plus petits, plus intransigeants, avec d’étranges points de lumière dans les iris. Il fixait mes mains et le papier, et c’était comme s’il disséquait finement chaque trait de mon dessin.

« Hum, fit-il d’un air à la fois étonné et indifférent, il y a du talent ici. »

Puis il me sourit et ce fut comme un éclair de violence, ce sourire, tout en gencives et dents de bois. En le voyant, quelque chose en moi se replia. Je sentais un mélange d’admiration et de moquerie de sa part, comme s’il voyait un être insensible accomplir un acte impossible, comme si une plante de serre avait appris à parler.

L’après-midi, je cessais de dessiner, je suivais plutôt Titch et son père qui allaient vérifier les différents petits pièges et collets que monsieur Wilde avait placés autour du camp. Ils étaient invariablement vides. Un après-midi, nous sommes tombés sur les profondes empreintes de pas d’un ours polaire. Nous les avons suivies pendant plusieurs heures et quand nous sommes arrivés au bord d’un lac gelé, la piste disparut. Monsieur Wilde reprit alors ses esprits ; à la vue du ciel qui s’assombrissait son regard s’emplit d’inquiétude. Nous

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